Beny Le Brownies prévient d’entrée : « Il faut faire le moins possible l’amalgame avec Tyler the Creator, parce que ça pourrait me vanner. » Pourtant, force est de constater qu’entre le rappeur d’Annecy et son homologue californien, nombreuses sont les similitudes. Même flow lent et sombre, mêmes instrus dissonantes, même goût affirmé pour les aléas du ride sur le bitume, même schématisation de crew pluridisciplinaire ( pour l’un, Odd Future pour l’autre). Même récupération par les , aussi. Il faut dire qu’un noir qui fait du skate, ça fait bizarre. Surtout à la famille d’origine congolaise de Beny, qui rigole quand on dit de lui qu’il est un « ». « Les mecs me disent que j’écoute pas Rick Ross, que je porte pas de Air Jordan, que je fais du skate. Donc si tu fais pas du son à la Kaaris, on dit que tu fais du son de blanc. Les mecs me disent toujours : ‘Pourquoi tu kickes pas ?’ »
Parce que l’américanisation du rap, très peu pour Beny. Lui préfère développer ses propres concepts. Francis, d’abord, ce personnage inventé qui traverse l’album tel un alter ego un peu franchouillard qui symbolise l’alliance métissée mais très chauvine du collectif Francis Trash. Le « hjerne » (qui signifie « cerveau » en danois) ensuite, soit la projection des atermoiements de l’âme d’un mec qui, finalement, sort à peine de l’adolescence et de ses problématiques aussi sombres que triviales. Un leitmotiv qu’il porte à même la peau, sous forme de tatouage. « J’ai une vie et je vais pas m’amuser à raconter n’importe quoi. Alors je raconte ma vie : le skate, les soirées entre potes ».
Une légère pause et le fantôme de Tyler the Creator vient une nouvelle fois hanter Beny : « C’est vrai que ma musique se rapproche de ce qu’il faisait au début. C’est un hasard sans en être un. » L’auteur fou furieux de « », le rappeur d’Annecy le voit plus comme un claque dans la tronche révélatrice prise il y a quelques années. « J’ai commencé le beatmaking à l’âge de treize ans. Mais j’avais pas les moyens de me payer un PC, un synthé et clairement, quand j’ai vu arriver le mec il y a trois ans avec son ‘Yonkers’, je me suis dit que c’était possible. En toute honnêteté, j’étais un peu dégoûté de voir qu’il pouvait faire ce que je n’arrivais pas à faire. Je me disais : ‘Regarde, il fait son délire, il demande rien à personne et les gens suivent.’ Finalement, j’ai fait les prods de Pre-Dora sur le netbook de mon ex-petite copine. »
Un qui porte le prénom de l’héroïne pour enfants d’une façon pas si anodine, propulsant cette dernière au rang de première influence du bonhomme, loin de l’egotrip et du name-dropping ironique. « Mon petit frère de quatre ans regardait Dora l’exploratrice et je suis tombé dessus par hasard. Je sais pas si t’as déjà regardé Dora mais pendant l’épisode, elle raconte son parcours et elle demande aux téléspectateurs de l’aider à poursuivre son chemin. Comme dans mon EP, où je me pose beaucoup de questions. »
Mais l’héroïne de Nickelodeon n’est pas la seule à figurer en bonne place dans l’album de Beny. Les désabusés Larry Clark et Harmony Korine partagent aussi les murs de son hjerne par le prisme du morceau « Kids », inspiré du . Une évidence pour la première fois excavée en interview. « Normalement, le morceau devait s’appeler ‘Kids 1995’. Ce film, c’est des mecs qui font du skate et qui savent pas ce qu’ils vont foutre de leurs vies mais ils ont quand même des étoiles dans les yeux. Le morceau, je le commence sur ‘Les routes longues de macadam qui brûlent mes pompes’. Pour moi, Kids, c’est ça ». À trop vouloir le comparer à Tyler the Creator, on en a peut-être oublié que finalement, Beny Le Brownies est comme tout post-ado qui se respecte. Mais ça, comme tout post-ado qui se respecte, le rappeur s’en cogne : « Je passe la majorité de mon temps dans ma chambre à faire des prods. Sinon, je sors pour skater, boire et fumer ».