23/01/2013 /
Nico Prat et Adrien Toffolet
#10
Sigur Rós – Untitled #4 (a.k.a. « Njósnavélin »)
Nous pourrions passer des heures à décrypter le mystère Sigur Rós : l’utilisation du vonlenska (une langue inventée, proche de l’islandais), à quoi pense Jónsi le matin en se rasant, ce genre de trucs. Ce n’est pas dans leur troisième album, sobrement intitulé « ( ) » (donc pas intitulé du tout), et dont les titres n’ont pas de titres, que l’on trouvera quoi que ce soit. Si ce n’est des plages de mélancolie profonde, un espace-temps modifié, un cocon de lumière. La quatrième (finalement nommée Njósnavélin ou The Nothing Song), en moins de 7 minutes, t’arrache des larmes, le sourire aux lèvres.
#9
Frank Ocean – Pyramids
Chez DumDum, nous pensons que 2012 fut une bonne année côté morceaux, et en particulier celui-ci. Nous pensons aussi que « Pyramids » est l’une des chansons les plus importantes de son époque. Parce que Frank Ocean et sa classe, parce que Frank Ocean et ses textes, parce que Frank Ocean et sa voix. Dix minutes qui imposent un songwriting, une aura. Dix minutes où se côtoient Cléopâtre et des strip-teaseuses. Un petit miracle.
#8
LCD Soundsystem – All My Friends
Meilleur single de l’année 2007. Point. Il y a d’abord cette introduction, ce piano insensé, qui semble ne suivre aucune direction. Puis cette voix, celle d’un James Murphy venant remettre de l’ordre dans le chaos. Petit à petit, le mur du son se fait plus grand, plus instable. Avant l’apogée, et ce refrain: « Where are your friends tonight ? If I could see all my friends tonight ? ». Un chant du cygne en quelques sortes. D’une infinie tristesse. Il y aura par la suite d’autres chansons. Aucune de ce niveau. Le chef d’oeuvre de LCD Soundystem est là.
#7
The White Stripes – Ball And Biscuit
On ne peut pas dire que les White Stripes ont été des spécialistes des chansons à rallonge. Et puis il y a le blues, très présent dans les premiers albums, beaucoup plus rare vers la fin de leur existence. Sur Elephant, énorme succès commercial, « Ball And Biscuit » est le seul blues. Toutes les règles sont respectées : structure classique en 12 mesures, solos éparpillés entre la narration, et histoire de déchéance -avec une double interprétation ici puisque « Ball » et « Biscuit » peuvent faire référence à des drogues dures ou au sexe. Mais avant tout, Jack White s’amuse, va à contre-courant. Alors que les Strokes & Co. s’éclatent dans les formats courts du garage rock et post-punk revival, White, lui, signe cette perfection blues pleine de vice de plus de 7 minutes. Bougrement malin et brillant !
#6
The Warlocks – Thursday’s Radiation
Trois guitaristes, une bassiste, une claviériste et deux batteurs… Juste assez de monde pour étaler les différentes couches de sons qui se superposent sur ce morceau. Mais il y a déjà une injustice à réparer : The Warlocks est l’un des plus brillants groupes de rock psyché des quinze dernières années, et malheureusement trop peu reconnu à sa juste valeur. Preuve en est avec « Thursday’s Radiation ». Basé sur une montée en puissance, la chanson révèle toute la grandeur des longues mélodies dépressives et glauques que l’on peut retrouver chez les Warlocks. C’est un peu comme lire Cioran quand on va pas bien : tout le monde pense que c’est un coup à se tirer une balle, alors qu’en fait, c’est flirter avec toute la beauté du monde.
#5
Kanye West – Runaway
On dira ce que l’on voudra bien dire sur Kanye West et son personnage de gros con égocentrique, mais difficile de ne pas être profondément touché par cette mise à nu. Enregistrée dans un moment de profonde remise en question (grosso modo, attaqué de toute part après son délire avec Taylor Swift) et en reclus (Kanye ne laissant pénétrer dans son studio à Hawaii uniquement que des personnes de confiance), « Runaway » fait office de mea culpa (« And I just blame everything on you/ At least you know that’s what I’m good at ») tout en en rajoutant une couche (« Let’s have a toast for the douchebags »). Kanye quoi !
#4
MGMT – Siberian Breaks
Cette pièce de résistance tirée du deuxième album des américains, c’est encore Sonic Boom, membre des ex-Spacemen 3 et producteur de cet ovni, qui en parle le mieux : « A Pop Surf Opera, after the storm, the loss of Ego. Brakers on the Beach. Hangin Ten with the Hodads. Distraction. The Sandy Smiles as the Sun Squints its way. A new day. Cleansed. Ready. Surf’s Up! Piss or pass the Pot ». Ou, pour vous simplifier la chose : la mégalomanie et le génie mélodique de deux grands artisans pop au sommet de leur art. Des questions ?
#3
Death In Vegas – Help Yourself
L’épopée commence comme une longue complainte vaporeuse. La voix d’Hope Sandoval, hésitante, ne semble fredonner aucune mélodie. Puis, peu à peu, les traits se dessinent. Les violons se font oppressants. On est bel et bien dans une pièce classique, quelque part entre un Ravi Shankar All Star Band et la BO de Gladiator. La grande dame de Mazzy Star se met par la suite en retrait, laissant la cavalerie en marche vers l’apogée de la carrière de Death In Vegas. « Help Yourself » clôt Scorpio Rising, lui-même ultime grand disque du duo anglais.
#2
Sébastien Tellier – La Ritournelle
Il y a le Tellier imposteur, auteur de chansons qui sentent le sexe et le délire psychologique, l’être déluré de manière générale, faible et ivre dans le pire des cas. Et puis, il y a le Tellier compositeur de génie, auteur de chansons d’une classe folle, d’une pop française sans limites. On préfère le second, celui de « La Ritournelle », chef d’oeuvre absolu de ces dernières années. Tout est parfaitement pensé : la mélodie au piano, la rythmique de Tony Allen (Fela Kuti), la ligne de basse bien huilée, et puis les cordes qui se faufilent par-ci par-là. On danse sur ce morceau, on pleure aussi, on séduit parfois et on tombe amoureux. Bref, toute l’humanité, dans une seule chanson.
#1
The Horrors – Sea Within A Sea
Il ne faut bien souvent qu’une chanson. Une chanson qui raconte tout, qui définit tout et qui pose les bases de ce que sera et représentera un artiste ou un groupe. Pour The Horrors, cette chanson est « Sea Within A Sea ». Pas de refrain, pas de mélodie, mais une construction en trois parties qui brise les frontières du rock psyché, et lui ouvre des portes dans la modernité et l’expérimentation. Produite comme le reste de l’album par Geoff Barrow, « Sea Within A Sea » est à la fois krautrock, shoegaze, et new wave. Et allez, on osera même ici la comparaison suprême : cette chanson prouve que The Horrors parvient à réunir autant de savoir-faire et de potentiel qu’un Velvet Underground. Elle pose le talent, la fureur, la folie de la bande à Faris Badwan, aux yeux de tous.