TAME IMPALA : « Gainsbourg m’a énormément inspiré »

Il y a des moments, comme ça, dans la vie d’un groupe, où l’on sent que tout peut basculer. Pour Kevin Parker, ce mois d’octobre est de ceux-ci : sortie d’un deuxième album avec Tame Impala, Lonerism, qui recueille des louanges de partout (dont les nôtres) et tournée-marathon dans toute l’Europe, dont une date au Bataclan à Paris. Son attaché de presse nous confiera que « Tame aurait pu en remplir deux facile ». Il se raconte que Lonerism se serait déjà écoulé à 5,000 exemplaires pour sa première semaine dans les kiosques (une montagne pour un groupe indé en 2012). Libération, Télérama, Le Grand Journal et Le Monde sont sur le coup.

À la tête de sa troupe issue de Perth, dans le sud-ouest de l’Australie, Parker la joue cool : bière allemande vissée à la main et Havaïanas multicolores aux pieds. On n’est pas loin du cliché. Lors de notre première rencontre, en septembre 2010, le gars était autrement plus flippé. Il affirmait même « être apeuré par la scène » et « ne pas comprendre le concept de rockstar ». Si Tame Impala a pris une nouvelle dimension, tel est le cas pour Kevin Parker. Autant dire qu’il y a des moments, comme ça, dans la vie d’un scribouillard fanatique, où l’on sent qu’il faut faire le point : Parker décortique avec nous son nouvel album, nous raconte son obsession pour Serge Gainsbourg et son année passée à Paris.

KEVIN PARKER : Je ne dirais pas que je suis un control-freak, plutôt le contraire : j’aime le chaos. J’aime ne pas contrôler les choses autant que j’aime les contrôler. Tu vois ? Ce sont deux choses différentes. D’un côté, je peux m’acharner jusqu’à trouver le bon son de batterie, ce genre de délires peut me prendre deux mois. Et de l’autre, la plupart des parties instrumentales de cet album ont été validées dès la première prise. Il y a des petites fautes, des trucs dissonants. Je travaille presque toujours tout seul, donc ce n’est pas un problème de contrôle. Je suis très libre. Je suis plus un freedom-freak qu’un control-freak.

Dans la chanson , qui ouvre Lonerism, on a d’ailleurs l’impression que tu racontes ta perte de contrôle en plein concert, face à ton public.

Ce n’est pas vraiment un public, c’est plutôt une réaction face au monde extérieur en général. Au contraire, c’est en face d’un public que je suis le plus libre, sûr de moi. Un public, c’est quelque chose d’étrange, en face duquel je me sens à la fois très confiant et qui m’intimide. « Be Above It » est censée retranscrire cette humeur : celle d’un espèce de tordu paranoïaque qui répète ces mots pour éloigner les mauvaises pensées.

C’est intéressant, car tu me disais l’exact contraire lors de notre première rencontre à Paris il y a deux ans, à savoir que tu te sentais désarmé face à un public.

Mhhhhh… je préfère toujours le studio au live, certes, mais le fait est que je suis récemment devenu plus à l’aise sur scène. Ça me tordait les boyaux de m’imaginer en plein concert, d’essayer de faire en sorte que tout se passe bien… j’oubliais de m’amuser. J’avais peur d’avoir l’air idiot, j’étais dans l’incapacité de m’exprimer. Maintenant c’est bon, j’ai compris qu’en me mettant la pression je n’y prenais aucun plaisir.

J’ai aussi personnellement émis une théorie sur « Sun’s Coming Up (Lambingtons) », qui ferme l’album, comme quoi tu l’aurais écrite en réaction au succès du premier Tame Impala (ndlr : où Parker parle brièvement de son père décédé d’un cancer peu avant la sortie du premier album de Tame Impala). Voire même qu’elle aurait lancé l’écriture de ce second disque. J’ai halluciné ?

La partie de guitare à la fin, c’est un enregistrement fait il y a longtemps et que j’ai retrouvé dans mon ordinateur. Mais le morceau en soi n’a pas lancé le disque, non.

Tu n’écris jamais tes paroles sur un coup de tête ?

Parfois j’écris sur des choses que j’ai ressenti dans le passé. L’écriture n’est pas nécessairement une réponse ou un exutoire par rapport à ce que je vis au moment où j’écris. J’utilise souvent des phrases ou des couplets composés il y a longtemps, mais qui ne convenaient à aucune chanson.

On sait aussi que l’album a été en partie conçu à Paris (ndlr : il a vécu à Paris de juillet 2011 à juin 2012). Dans quelle mesure ?

J’y ai fait un peu de tout, parce que sincèrement, je travaille tout le temps sur des instrumentaux, des bouts de chansons que j’utilise ça et là. La plupart des instrus ont été enregistrées avant mon arrivée ici, dans mon studio à Perth. Quand j’ai pris la décision de venir à Paris, j’ai mis en boite autant de pistes de guitare et de basse que possible. En fin de compte, je n’ai réalisé qu’une seule chanson de bout en bout à Paris, et c’est justement « Be Above It », car c’est la seule dont la batterie n’est pas enregistrée en live. Il s’agit d’un sample d’une ancienne chanson de Tame Impala. La plupart des voix en revanche, c’est fait ici-même, à Paris, dans différents appartements. Je les enregistre généralement à la fin, car j’écris les paroles à la dernière minute.

 

 

« Mon obsession pour Serge Gainsbourg… »

 

 

Et où as-tu vécu dans Paris ?

D’abord à Saint-Germain, puis dans le Marais, et enfin près du Jardin du Luxembourg, que l’on voit sur la pochette de l’album.

Penses-tu que l’album aurait été différent si tu n’avais pas travaillé dessus ici ?

Oui, c’est certain. Pour quelques chansons en tout cas. Par exemple « Be Above It », c’est le fruit de mon expérience de vie ici. Pas tant à cause l’environnement ni de la ville en soi. C’est le fait de vivre dans un appartement, sans batterie à disposition. Un autre élément qui a probablement façonné l’album de manière inconsciente, c’est mon obsession pour Serge Gainsbourg. Mon premier appartement se situait rue de Verneuil, je marchais devant chez lui tous les matins en allant à la boulangerie (il articule le mot en français, ndlr). Ouais, c’est devenu une véritable obsession.

Tu n’avais jamais entendu parler de lui ?

Pas vraiment, c’est ma copine qui m’en a parlé. J’ai tout doucement commencé à m’intéresser à sa musique, à essayer de transcrire ses paroles. Plus je découvrais son univers, plus il fallait que je me renseigne. Sa manière d’écrire ses morceaux, la perspective qu’il adopte lorsqu’il raconte des histoires : c’est ça qui m’intéresse. C’est difficile à décrire. J’aime son sens de l’auto-dérision, il était très dur avec lui-même, sans aucune retenue. En général, les gens racontent ce qui va mal dans le monde autour d’eux, lui parle de ce qui ne tourne pas rond à l’intérieur de sa personne. Gainsbourg m’a énormément inspiré, ça m’a poussé à me mettre plus en avant, de lever toutes les barrières en terme d’expression de mes sentiments.

Qu’as-tu appris d’autre ?

Ça m’a permis de gagner confiance en tant qu’artiste solo. Tu sais, Perth est un lieu propice à la création de groupes de rock. Si tu te lances dans la musique, tu le fais dans un groupe. C’est une dynamique, une psychologie différente, les gens travaillent ensemble. D’observer sa manière de travailler, son histoire, ça m’a encouragé à trouver ma propre personnalité en tant que musicien, puis comme je le disais, à fluidifier ma manière de m’exprimer.

Est-il célèbre en Australie ?

Je crois que la plupart des gens ne connaissent que l’histoire avec Whitney Houston. En fait non… la plupart des gens ne sauront pas qui il est. S’ils le connaissent, c’est probablement grâce à ça, ou ils connaissent peut-être sa réputation d’homme à femmes alcoolique. Mais oui, désormais je connais toutes ses histoires et ses escapades (en français, encore une fois, ndlr).

Après avoir passé presque un an à Paris, en quoi la vie ici est-elle différente de la vie à Perth, ou en Australie d’une manière générale ?

Déjà, la scène musicale est très différente. C’est encore une fois dû à l’espace : à Perth, tout le monde vit dans une maison, avec de très grands salons, de très grandes chambres. Si tu as un groupe, tu répètes chez toi, tu ne déranges pas les voisins, ou en tout cas pas autant que si tu faisais ça dans un appartement. Dans un groupe, comme le permis de conduire est abordable, il y en aura forcément un qui aura une voiture, ce qui facilite l’organisation de concerts. Un groupe que je connais à Perth joue même avec deux batteries. C’est impensable à Paris, si tu dois te balader avec tes instruments dans le métro. C’est peut-être pour ça d’ailleurs, ce manque d’espace, que les grandes villes européennes connaissent un tel foisonnement de musiques électroniques.

Et au niveau de l’état d’esprit des gens, tu as également remarqué des différences ?

Ce n’est pas facile à dire… si je m’embarque là-dedans, je finirais par catégoriser les gens, ce qui n’est pas le but. Les australiens sont plus dans le genre « on s’en branle, allons nous bourrer la gueule ». Je ne suis pas bon dans cet exercice hein… mais bon, les français sont plus (il hésite)… je ne sais pas, bien plus conscients de leur propre personne. Ils sont plus réservés. Ce qui n’est pas le cas en Australie. Les parisiens sont très tournés sur leur apparence et la manière dont on les perçoit.

 

 

« Des personnages que je créé à mon image »

 

 

Tu as également produit le premier album de Melody’s Echo Chamber (notre interview ici), qui a été enregistré au même moment que Lonerism, non ?

Oui, le travail sur ces deux albums s’est fait à peu près au même moment mais il n’y a pas vraiment eu d’interactions entre les deux. Certains sons ont été réutilisés, tout comme une bonne partie du matériel, en effet.

Comment es-tu parvenu à intégrer les idées de quelqu’un d’autre pour finalement faire un album qui n’était pas le tien ?

En général, elle me demandait de faire quelque chose de tout à fait nouveau. Melody aime tous ces sons digitaux un peu tarés. Ce sont des idées qui ne seraient pas venues de moi de toute façon. Et de mon point de vue, il semblait évidement que sa voix demandait des sonorités différentes. Les batteries sont plus proches de Portishead, par exemple, tu vois ? Avec Tame Impala, je joue des trucs heavy, groovy, à la Led Zeppelin tandis que les compositions de Melody demandaient un cross-over entre trip-hop et sixties au niveau des percussions. C’était elle l’artiste, elle avait ses propres chansons et tout le travail de production est venu naturellement.

Tu te sentirais de produire d’autres artistes, de manière régulière ?

Oui, pourquoi pas, mais je le ferais seulement si la musique me plaît vraiment. Ça tuerait la magie du truc si d’aventure je venais à produire des morceaux qui ne me plaisent qu’à moitié. Quand tu te lances dans un projet, il faut toujours s’assurer d’être toujours passionné, d’avoir l’envie de découvrir, d’aller plus loin. Si ça devient un boulot, autant arrêter tout de suite.

Ce mot, « Lonerism », il n’existe pas en anglais ?

Non, j’ai cherché sur Google et je n’ai rien trouvé. J’aime bien les mots inventés, car aucune définition ne s’y rattache. La démarche était la même sur le premier album, qui s’appelle Innerspeaker. C’est à l’auditeur d’imaginer le sens du mot, et si tu vois ce que ça veut dire, tu feras un pas de plus vers la compréhension de ce que j’essaie de transmettre. Ces mots-là ont un sens qui n’existe que lorsqu’ils sont mis en rapport à l’album auquel ils sont rattachés.

« Lonerism », c’est un peu un style de vie en solitaire ?

Oui, dans un sens… oui.

Tu aimes être seul ?

Je n’aime pas tant être seul que me sentir seul. Certains des morceaux de cet album ne parlent pas du fait d’être seul mais ils racontent ce qu’il peut se passer lorsque tu es paumé dans ton coin. En fait, la plupart d’entre eux racontent des expériences partagées avec d’autres gens, dans le monde extérieur. Mais comme ces histoires ne se terminent jamais bien, ça leur donne un côté tragique, ça fait sens avec l’idée-même de « Lonerism ». Ce mot est le résultat des choses qui se produisent tout le long de l’album.

Tu as trouvé le titre après avoir terminé le disque ?

Oui.

Mais tu as peur des autres, de ce qui pourrait se passer s’ils viennent à te connaître ? En fait non… le personnage sur tous ces morceaux, est-ce toi, Kevin Parker ?

C’est moi, oui. C’est moi mais c’est aussi des personnages que je créé à mon image. Je me remémore des moments de mon enfance, de mon adolescence. Je n’écris pas forcément sur le moi actuel, mais aussi sur tous ceux qui l’ont précédé. C’est comme ça que je me libère dans l’expression, car ça me donne l’impression d’écrire sur quelqu’un d’autre.

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