« Quand je pense à Tokyo, je ne peux m’empêcher de penser à sa densité : ce qui est chiant là-bas, c’est qu’il y a trop de monde. J’habite à l’ouest, pas en centre-ville, et avant c’était assez résidentiel. Mais beaucoup de gens se sont installés ces dernières années. Désormais, la rue devant chez moi est toujours pleine, ça me fatigue. La population du Japon baisse, mais celle de Tokyo n’arrête pas d’augmenter. Ça facilite certaines choses de vivre dans une si grande ville, mais tu peux aussi facilement te sentir seul. Il y a de la solitude à la campagne, mais à Tokyo avec cette population, on se sent rapidement esseulé également.
Moi, je n’ai jamais vécu autre part qu’à Tokyo, donc je ne peux pas comparer, j’ai du mal à comprendre ce sentiment de solitude. Osaka est sympa, c’est toujours un bonheur d’y jouer. Les gens sont gentils. Mais je les trouve trop gentils ! Là-bas ils te sautent dessus, du genre « comment tu vas ? La forme ? Ça va, t’es sûr ? » Une chose est certaine : les villes d’où tu viens déteignent sur toi. Si on n’avait pas habité Tokyo si longtemps, on aurait sûrement écrit différemment : peut-être que faire de la musique bruitiste reflète le perpétuel boucan de Tokyo. Il y a tous ces casinos, avec les gens aux cash-machines, et ça fait un putain de boucan, et ça crie de partout quand ça gagne, et y a de la J-Pop à fond hyper tapageuse. Peut-être, aussi, que quand il y a tellement de monde autour, il faut faire du bruit pour te faire remarquer.
À Tokyo il y a beaucoup de groupes un peu partout, notamment une vraie scène alternative. Mais mon plus grand moment live là-bas, ça reste . C’était il y a 20 ans. J’ai été choquée. Je m’intéressais déjà à la musique noise, mais après ce concert j’ai ressenti le bruit différemment. C’était la première fois que le bruit m’a semblé beau. Je me rappelle, c’était dans un art space, une sorte de théatre. Il y en a pas mal à Tokyo. Quand l’économie était bonne, beaucoup de ces endroits ont été construits. Mais aujourd’hui, l’endroit où j’ai vu Merzbow est devenu une théâtre de comédie.
En ce qui nous concerne, on ne joue pas différemment selon le pays où l’on se trouve. Mais les publics sont différents. Au Japon, il est calme. Il écoute vraiment la musique. Les japonais se concentrent à 100% sur la musique, alors qu’aux États-Unis, ils aiment l’atmosphère. Au Japon, les lives sont régulièrement organisés dans les art space, sans alcool. Alors qu’en Occident, on joue parfois dans des bars, avec pas mal de gens bourrés ! Mais, attention, les japonais sont également de grands buveurs. Tant qu’il y a une réaction, on sait apprécier l’interaction avec le public.
Ce qui me manque le plus à l’étranger, c’est la bouffe. C’est tellement bon et si différent au Japon, c’est dur de retrouver la même chose. Surtout le petit déjeuner japonais. Riz, soupe, petits pois, un poisson léger… magnifique. Aussi, à Tokyo, il y a tout ce qu’il te faut autour de toi. Plein de magasins de tout et de rien… Même quand je n’ai rien à acheter, je pars dans les centres commerciaux. Il y a tellement d’absurdités que ça en devient l’équivalent d’une promenade au musée. Quand j’étais au lycée, on y allait tout le temps avec les potes. Mais après les cours, on n’était pas supposé être dehors. C’était interdit, on devait rentrer directement chez nous : c’était la règle. Et on partait donc en cachette. Si un prof nous chopait, c’était la merde, punition et mot dans le carnet. Si on en voyait un, on se barrait en courant, c’était la seule stratégie !
Les œuvres d’art qui capturent le mieux Tokyo sont les anime. Il y a une exagération dans le dessin qui capte son exubérance. Celle des centres commerciaux, de sa population, de son architecture. À Tokyo, chacun peut construire sa maison comme il le souhaite, de façon traditionnelle ou moderne, et parfois pas du tout en accord avec le quartier. La seule règle, c’est que McDo ne peut pas utiliser de lumières rouges à la japonaise. À Kyoto par exemple, c’est beaucoup plus contrôlé, pour garder un cœur de tradition qui attire les touristes. Mais à Tokyo c’est le bordel. Le plus réussi de ces anime, en ce qui concerne Tokyo, c’est pour moi Tokyo Magnitude 8.0. Ça porte sur comment Tokyo réagit à un tremblement de terre, de manière extrêmement réaliste. »