LESCOP : « Sans la musique, je me serais déconnecté du monde… »

Qui se souvient d’Asyl ? Pas grand monde. Pourtant aujourd’hui, tout le monde a le nom de son chanteur, Lescop, sur les lèvres. Une petite tête d’elfe brun au regard froid sur un corps frêle et pâle pour incarner la relève de la pop française. Ce n’est pas un rêve, c’est réellement en train de se dérouler. Que sait-on du gars ? Le même topo dans toute la presse : 33 ans, originaire de La Rochelle, chanteur d’Asyl pendant des années, ami de longue date de John & Jehn avec qui il a enregistré ce premier album, un amour de la littérature, une pop new wave glaciale comme nouveau medium artistique, sans oublier Etienne Daho pour la comparaison facile. Rien n’est faux, mais le personnage est en réalité bien plus complexe, bien plus brillant, bien plus torturé et aussi bien plus lumineux qu’il n’y paraît. Il suffisait de demander. Rencontre avec la face cachée de Lescop.

MATHIEU LESCOP : Je pense que je fais de la musique pour fuir la réalité, le monde des adultes… C’est un peu un refuge. Quand j’étais enfant, j’étais quelqu’un de très angoissé, comme beaucoup d’ados. J’ai eu pas mal de problèmes à cause de ça. J’ai été fils unique pendant longtemps et à l’époque, je rêvais d’avoir un grand frère. Assez naturellement, la musique a comblé le vide. Les chanteurs sont devenus les grands frères que je n’avais pas. C’était Eddie Cochran, Jim Morisson, Kurt Cobain… Cela m’a fait du bien car ça avait un côté très rassurant. Ado, j’étais quelqu’un d’assez violent et indiscipliné et je pense que la musique m’a donné l’occasion de me construire une réalité dans laquelle je n’étais pas viré de tous les collèges ou tout le temps en train de me castagner…

Pourtant l’enfance est plutôt une période d’insouciance chez la majorité des gens…

Pas chez moi ! (Rire gêné) L’enfance et l’adolescence n’ont pas été des moments de quiétude pour moi. J’étais un enfant très angoissé, violent… J’étais somnambule… Je faisais des crises… Enfin, je ne vais pas m’étaler… C’est la vie, tu apprends à accepter ça, tu cherches le positif, la musique, l’amour… Les arts martiaux aussi m’ont beaucoup aidé, à avoir une approche des choses un peu moins binaire par exemple. Les choses de la vie sont plus complexes qu’un simple rapport dominant/dominé, gagnant/perdant, etc… Et c’est très bien comme ça.

Qu’est-ce qui a fait que tu as franchi le pas de « petit frère » à « grand frère » ?

C’est comme une drogue en fait, très puissante. Quand tu goûtes une fois aux sensations que t’apporte la musique, tu as envie de les retrouver tout le temps. Le seul moyen que j’ai trouvé pour vivre à nouveau ces sensations, c’était prendre leur place, être chanteur.

Et pourquoi cherches-tu à fuir la réalité ?

(Il hésite) J’ai un peu de mal à… (Silence) La réalité, la vie d’adulte, payer les factures, l’essence, tout ça, je le fais. Mais je le fais parce que derrière, je fais ce qui me plaît, faire de la musique. Sans ça, je pense que je me serais déconnecté du monde et je serais allé vivre en communauté dans le Larzac…

 

« Tu peux chanter Crève Salope à 20 ans, c’est même bien, il faut le faire »

 

Ah oui, à ce point là ?

C’est simple, ma seule connexion avec les autres, elle se fait à travers la musique, donc si j’ai pas ça… Enfin pour le moment en tout cas ! Peut-être qu’avec le temps, ça va s’améliorer. (Il esquisse un léger sourire)

Il paraît que composer peut avoir des vertus thérapeutiques…

Peut-être… Mais dans mon cas je ne pense pas qu’il y a de lien entre ce que j’ai vécu enfant, le besoin que j’ai de faire de la musique et les chansons que j’ai composé pour Asyl ou cet album.

Ta musique n’est pas le reflet de ce que tu ressens ?

Il y a peut-être une corrélation mais je suis incapable de l’analyser… Je pense que c’est plus simple que ça. C’est juste une question d’âge. Ta musique évolue avec toi. On faisait du rock à guitare à l’époque avec Asyl mais aujourd’hui, plus aucun des membres n’en fait. Cette musique allait bien avec la jeunesse. Je trouve ça assez pathétique de voir des mecs de 30 ou 40 balais continuer à faire du punk comme s’ils avaient encore 20 ans. C’est un peu ridicule…

Dinosaur Jr vient de sortir un nouvel album par exemple…

Bon, c’est pas forcément un bon exemple. J Mascis, lui il est pathétique d’une manière générale je pense… (Il rigole) Il l’a toujours été… Ce que je voulais dire, c’est que le punk, c’est bien parce que ça va avec une espèce de maladresse de jeunesse. Mais quand tu sais faire… Quand tu entends Green Day faire la même musique qu’il y a 25 ans… Au secours quoi ! Moi, je n’ai pas de problème avec le fait de vieillir et chanter. Un mec comme Souchon, il a toujours fait des albums de qualité parce qu’il a jamais essayé d’avoir une autre gueule que celle qu’il a, il n’a jamais fait semblant d’avoir un autre âge que celui qu’il a.

 

« J’aurais pu avoir un boulot pourri et au lieu de ça, j’ai joué dans un groupe »

 

Ça veut dire adapter ses chansons à ce qu’on est ?

Ça veut dire être conscient de ce qu’on est. Tu peux chanter « Crève Salope » (Chanson du groupe Métal Urbain – ndlr) à 20 ans, c’est même bien, il faut le faire. Ceux qui font ça le mieux aujourd’hui, ce sont les mecs de Odd Future. Ce sont des Métal Urbain modernes pour moi. Ils racontent plein de conneries, ils les disent fort et en même temps avec un petit œil qui brille qui montre qu’ils savent ce qu’ils font. Mais tu vois, j’espère que ces mecs ne feront plus ça à quarante ans. A quarante ans, tu n’es plus jeune, et si tu essayes de le faire croire, tu as l’air d’un con.

Il faut faire quoi comme musique à cet âge là alors ?

Je ne sais pas, c’est à eux de trouver. Moi même je ne sais pas ce que je ferais. Mais je ne pense pas que ce sera la même chose qu’aujourd’hui. Je me suis toujours fixé comme objectif d’être cohérent. Et puis je sais que je suis extrêmement exigeant avec moi-même. Je travaille mes textes, je ne veux pas faire quelque chose de médiocre. Et si un jour j’ai le sentiment que ce que j’écris est médiocre, jamais je ne m’en servirais. Je préférerais changer de métier.

Toi qui as toujours eu ce niveau d’exigence, comment expliques-tu qu’Asyl n’ait pas eu beaucoup de succès ?

Je ne sais pas, c’est la vie… Et puis tout dépend ce que tu appelles succès. Je viens d’une petite ville de province où il ne se passait pas grand chose. Je n’avais pas de diplômes. J’aurais pu avoir un boulot pourri et au lieu de ça, j’ai joué dans un groupe, j’ai rencontré des tas de gens brillants, enregistré des albums à l’étranger, joué en République Tchèque, au Portugal, sillonné la France… En soi, c’est déjà une réussite. Pour moi en tout cas, c’est une ascension sociale.

Aujourd’hui, le nom Lescop est beaucoup associé à Daho ou un retour des « jeunes gens modernes »…

(Il coupe) Ahhhhhhh ! Le quart d’heure Daho ! (Rires) C’est comme si on posait un jour la question à Daho : « alors, vous êtes un vieux Lescop ? »  (Il se marre) Je pense qu’il en aurait rien à faire. Je fais de la pop chantée en français, comme lui.

Surtout que ta musique est parfois plus proche du shoegaze que de la pop de Daho…

Le guitariste qui joue avec moi est un gros fan de My Bloody Valentine. C’est lui qui apporte cette texture incroyable en concert.

Si je résume, on essaye de faire de toi un dandy ténébreux rétro new wave ?

Dandy je veux bien. Ténébreux… Pfff… Ce disque est noir mais s’il n’y avait pas de lumière, personne ne verrait qu’il est noir. Donc je ne pense pas que ténébreux colle vraiment. Je n’ai pas envie de donner aux gens de se pendre. Il y a des souvenirs, de la mélancolie et de la nostalgie, mais ce n’est pas pour s’enfermer dedans, au contraire !

 

Album : Lescop (Mercury/Universal)

Sortie le 1er octobre.

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