King Krule s’est-il fait avaler par la hype ?

Non, Archy Marshall est un jeune homme passionné par les marges. Pourtant, le parcours du rouquin pourrait paraître, si ce n’est banal, du moins prémédité : un père directeur artistique de la BBC, une mère spécialisée dans l’art et la sérigraphie, un grand frère passionné de no wave, un premier morceau écrit à 8 ans, un single qui affole les blogs à 16 ans sous le pseudo de , une geek-attitude savamment travaillée (le pseudo King Krule ferait référence à , le méchant crocodile dans Donkey Kong),… On s’arrête là ? Non, on reprend notre souffle, et on continue : un side-project hip-hop sous le pseudo Edgard The Beatmaker, un premier album qui sort le jour de ses 19 ans et de multiples comparaisons dans la presse à des artistes aussi divers que Joe Strummer, Mike Skinner, Elvis Costello, Vini Reilly ou encore Jamie T. Bref, un buzz, certes, assuré, mais mérité. D’autant que son premier album, 6 Feet Beneath The Moon, met assez brillamment en forme ce qu’il appelle la « blue-wave » : création hybride entre un blues saboté et un rock colérique, entre un hip-hop subtil et un spleen mélodieux. Et si les singles «  » et «  » s’imposent comme des évidences, l’homme au double K sait voir plus loin : notamment sur « Neptune Estate » et «  » où il laisse libre cours à son flow solide, grave, tout en rupture de ton.

Oui, on sent poindre ci et là les prémices de son essoufflement. Quand on a gagné tant de fans sur la foi de quelques titres incarnés et honnêtes publiés dans un simple EP, difficile, de nos jours, de faire le grand saut sereinement. Non pas que 6 Feet Beneath The Moon soit un album indigeste (on s’évertue à dire tout le contraire depuis le début de cet article), mais la hype qui le suit depuis ses débuts – et encore plus depuis ses avec Mount Kimbie – semble avoir bel et bien pesé sur l’enregistrement, chaque morceau n’étant ni tout à fait identique, ni tout à fait différent des autres. Au point de rendre certains titres, moins contrôlés et plus coléreux, difficiles à l’écoute : « Has This Hit ? » et « Easy Easy » sont de ceux-là. Cela dit, à défaut d’éviter quelques gimmicks légèrement redondants (le côté lancinant, notamment) ou de produire un premier album impeccable, prompt à étouffer la contestation et la mauvaise foi des « anti-hipsters », King Krule livre ici un objet d’une pureté radicale et dynamique.

Non, ses textes révèlent un jeune homme en phase avec son temps. Le vague à l’âme d’un enfant qui a mal (ou trop vite) grandi dirons-nous. Difficile en effet d’évoquer la musique de King Krule sans parler de ses textes, qui semblent tous nourrir une étrange curiosité pour tout ce qui possède un caractère de perversité. Toutefois, soyons clairs : Archy Marshall n’a rien a revendiqué, il entend juste solliciter nos affects les plus enfouis en racontant une série d’histoires toutes aussi dépressives et amères les unes que les autres. On pourrait bien entendu penser que si King Krule expérimente à merveille ses désillusions, celles-ci se veulent parfois trop élaborées, de celles cà même de remplir le cahier des charges du parfait écorché-vif. Ce serait faire fausse route, car ses textes observent, percutent et reflètent avec talent deux ou trois choses sur l’Angleterre d’aujourd’hui : sa jeunesse désœuvrée, ses pubs pourris et, surtout, l’élan créatif dont semblent jouir les caves de Londres depuis plusieurs mois (The XX, James Blake et Deptford Goth en tête).

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