Oui, esthétiquement, il y a clairement quelque chose. Barbes fournies, lunettes de soleil fumées et carrures de taureaux, Rick Ross et Kaaris ont désormais totalement disparu derrière l’armure d’un Barracuda du siècle 21. Mais le parallèle ne s’arrête pas aux similitudes physiques puisque les deux rappeurs déploient souvent visuellement le même arsenal stylistique. Dans les noirs et blancs claquants des clips de « » et de « » s’impriment des flashs gangster fait de hordes de homies affamés, de bootys XXL et du décor cendré des quartiers pauvres. La vodka Ciroc qui transforme les clips du parrain de Miami en s’inflitre elle aussi sous les cieux nettement plus sombres du psychopathe de Sevran, le temps sobrement tiré du nom du nectar made in France.
Non, niveau background, les deux colosses n’ont rien en commun. Rick Ross avait fait scandale dans les milieux gangsta peu enclins à tolérer son passé de maton. À l’inverse, Kaaris est toujours resté au plus proche du ter-ter de la Seine-Saint-Denis. Après une dizaine d’années à trimer dans les confins du rap français, ce n’est qu’aujourd’hui (à 33 ans) que le rappeur s’apprête à avoir sa revanche avec la sortie d’Or Noir, album batailleur d’un outsider aux poings taillés comme des voitures-bélier (et qui s’est écoulé à 19.000 exemplaires depuis sa sortie le 21 octobre). Pourtant, loin de se poser en nouveau parrain hip-hop, la bête de Sevran répète à longueur d’interviews qu’elle ne fera pas long feu dans le rap et qu’elle ne compte pas moisir sur le trône. Et même si Kaaris ne se refuse pas quelques saillies bling-bling façon Rick Ross, l’or ne sert chez lui qu’à moucheter la nuit d’un éclat inhabituel. Sans doute, celui qu’on aperçoit au bout du tunnel d’acier d’un AK-47.
Oui, musicalement, ça colle. Mais si Kaaris traîne souvent du côté des instrus bodybuildées du floridien, c’est davantage derrière les cages du South Side Chicago qu’il faut aller chercher les graînes de son flow de fauve. En citant en référence Lil Reese, King L et une bonne partie de la délinquante scène drill, le rappeur français semble rappeler avec force que le soleil de Miami ne filtre pas jusqu’aux pieds des tours de Seine-Saint-Denis. Et tandis que Rick Ross est de tous les featurings, transformant sans cesse ses disques en avalanches de name-dropping rutilants, Kaaris a préféré agir seul, à la manière d’un méthodique tueur en série. Sentir la chaleur de la lame monter sous l’effet de la pierre qui l’affûte, voir la peur lentement gagner le regard de son adversaire : autant de petits plaisirs que Kaaris veut apprécier en solo avant l’incroyable séance de torture qu’il s’apprête à faire subir à un rap français qui s’est un peu endormi.
Photos : et Valentin Le Cron