S’il est bien un disque que l’on n’imaginait pas voir vieillir, c’est bien Dookie. Malgré son sens de la crétinerie, ses airs de teen-movie et son gel dans les cheveux, le classique de Green Day fête aujourd’hui ses 20 ans. Plus perturbant encore : l’éternel Billy Joe Armstrong s’apprête à souffler ses 42 bougies. Et il ne semble pas prêt à laisser tomber le fard à paupières.
Pur produit d’une culture (MTV), d’un contexte (l’après-grunge) et d’une période de la vie (l’adolescence), Dookie, sorti le 1er février 1994, avait tout pour se prendre une bonne crise d’arthrite avant l’heure. Pourtant, force est de reconnaître qu’à la réécoute de ce condensé d’Amérique middle-class, les effets restent les mêmes : la vie adulte paraît à nouveau lointaine, vos crottes de nez ont un goût de Cheetos Bacon et l’argent ne vous sert qu’à tenter de payer un Mr Freeze à la plus belle nenette du collège. Avec des morceaux comme « », « » ou « », le groupe de Berkeley signait sur Dookie une flopée d’hymnes à la simplicité libératrice et à l’efficacité mélodique encore intacte aujourd’hui. En abordant l’ennui des morveux de la classe moyenne californienne (« Je me pose-là et mate le télé, mais il y a rien / Je zappe pendant une heure ou deux / Je fatigue mon pouce pour rien » sur « Longview »), la solitude (Quand se masturber n’est même plus marrant / Tu te sens vraiment seul » toujours sur « Longview ») et l’aspiration à plus de fun (pour la blague, le groupe a appelé son album « Dookie », ce qui signifie « merde » en anglais) Green Day s’est fait l’un des premiers relais des préoccupations de la jeunesse désillusionnée du début des années 90.
Cela dit, depuis la prise d’otage des charts qui valu à Green Day des ventes dépassant les 10 millions d’unités, nombreux sont ceux qui ont nié l’évidence. Pour les épuisants gardiens du bon goût, Green Day fait de la soupe, pour les puristes punk, Green Day est une bande de vendus et pour les adolescents d’hier, Green Day sonne comme une mauvaise gueule de bois. Autant dire que personne n’a jamais cherché à réhabiliter le pop-punk du trio californien. Et pourtant, Dookie n’est ni une erreur de pilotage, ni un point d’interrogation dans l’histoire du rock. Au contraire, sa venue est même d’une logique surprenante tant il s’inscrit dans le prolongement de l’histoire du punk et de la pop.
STRAIGHT EDGE ET TRAHISON
« ». Au lendemain des nombreuses morts brutales qui avaient secoué le punk et ses excès, le programme braillé par Ian MacKaye et son groupe Minor Threat avait quelque chose de salvateur. Alors que tous les héros du mouvement punk finissaient lobotomisés par l’alcool ou la drogue, le cri de résistance poussé par le hardcore témoignait de la rage d’une jeunesse qui ne voulait pas finir comme ses aînés. Fondant l’éthique straight edge qui prône le végétarisme, l’abstinence de toutes drogues et le refus du sexe sans amour, Ian MacKaye se posait en ascète sauvage face au nihilisme ambiant. Avec son label Dischord Records, le leader de Minor Threat et Fugazi a aussi fait preuve d’une intégrité sans concessions, prouvant qu’il était possible de survivre de sa musique tout en adressant un copieux doigt d’honneur à l’industrie du disque. Et si cette éthique n’est aujourd’hui plus vraiment de mise dans la musique de Green Day, c’est pourtant bien sur ces fondations que s’est bâti le trio.