Fauve a-t-il trop lu la « Société du spectacle » de Guy Debord ?

Non, Fauve mène une vie passionnelle et affranchie. En lisant la de Debord (si tant est que la formule ait encore un sens, tant elle semble être employée à tort et à travers aujourd’hui), deux options : on peut nourrir sa contestation envers le système dominant en multipliant les phrases abscons (on caricature !), ou céder à la déprime, croire que tout se rationnalise et que le futur n’arrivera pas. Chez les parigots de Fauve, on retrouve un peu des deux : il s’agit du genre de groupe qui n’aime pas se tenir à carreau, préférant s’en tenir à la marge et s’affranchir de tout interdit, avec un autre point de vue, plus sombre, sur la réalité. Il suffit d’ailleurs d’écouter l’intro de « Blizzard » pour comprendre que les textes des Parisiens sont autant d’armes acérées contre le monde actuel : « Parce qu’on est de ceux qui guérissent, de ceux qui résistent, de ceux qui croient aux miracles. Pas de ceux qui disent que lorsque les tables bougent, c’est que quelqu’un les pousse du pied ». Un texte qui renvoie instantanément au dixième aphorisme du bouquin de Debord : «  Considéré selon ses propres termes, le spectacle est l’affirmation de l’apparence et l’affirmation de toute vie humaine, c’est-à-dire sociale, comme simple apparence ». Prend ça, ère des réseaux sociaux.

Peut-être, mais Fauve s’est construit grâce au net. Selon Debord, la société du spectacle est un concept apte à fabriquer ses propres mythes, à les transformer en vulgaires marchandises et à les anéantir le moment venu (autrement dit, lorsqu’ils ne servent plus le dit spectacle). Plus que n’importe quelle époque, et donc celle du bon vieux Guy-Ernest, la nôtre semble n’être qu’une immense mise en scène capable de divertir des millions de spectateurs virtuels. En utilisant le net comme principal vecteur de communication, Fauve semble avoir fait, peut-être involontairement, le premier pas vers ce mécanisme – après tout, se servir des moyens de communication du capital, c’est toujours rejoindre le système du capital. Et à l’écoute de « Cock Music Smart Music », ces jeunes gens semblent en avoir conscience : « C’est FAUVE parce que ça va trop vite, parce qu’on n’est pas encore prêts. On a besoin de temps pour trouver les mots justes. Pour maîtriser la hargne au goût amer qui fait mal à la gorge. Pour aiguiller tout ça vers quelque chose de plus noble. » Question : la puissance critique de Debord serait-elle toujours d’actualité si l’auteur s’était mis en quête de noblesse ? Pas sûr.

Non, on n’a jamais fait le tour de Debord. Et c’est tant mieux : loin de se limiter, comme il l’écrit, à « la négation visible de la vie », le situationniste a développé une critique insurrectionnelle et poétique en rupture totale avec notre époque, à coups de textes et de slogans à la fois précis et identitaires. Ce procédé d’identification, on le retrouve chez Fauve, véritable phénomène générationnel avec la musique comme unique source d’information. On tient pour preuve leur concert donné à Morlaix fin mars, dans le cadre du festival Panoramas, où le public (300 personnes, maximum) accompagnait déjà toutes les chansons, en réclamait d’autres et, surtout, semblait complétement transcendé par des textes à la charge émotionnelle sidérante. Alors, bien sûr, Fauve n’a rien de la praxis révolutionnaire de Guy Debord, ni la verve intellectuelle, mais on sent chez eux une œuvre en constant déploiement, prête à se radicaliser s’il le faut.

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