Faut-il vraiment décortiquer les textes de rap ?

Oui, RapGenius en a même fait son filon. Autant se le dire, l’ajout d’explications aux textes de rap dans le but d’en décrypter l’argot et le sens caché, c’est la nouvelle tendance d’internet. C’est en tout cas le concept de , sorte de Wikipedia des lyrics hip-hop (mais pas que) et fondé en 2009 par trois diplômés de l’Université de Yale. Sur le principe, c’est cool : on a enfin la possibilité de comprendre les paroles de DMX, De La Soul ou, plus récemment, de Kendrick Lamar. En plus, certains rappeurs, comme Nas, viennent alimenter l’analyse. Parfait, non ? Là où le bas blesse, c’est dans cet acharnement à vouloir tout traiter, sans discernement, alors que certains textes, volontairement épurés et très premier degré, ne se prêtent pas à l’exercice. Et puis, pensons aux fans : pourquoi servir une interprétation sur un plateau alors qu’on aurait pu se la formuler de soi-même au fil des écoutes ?

Non, le langage du rap est volontairement crypté. Par son ampleur, le texte de rap incite (souvent) l’auditeur à écouter différemment, à faire l’effort d’aller vers des paroles portées sur les acronymes et les télescopages sémantiques. Au contraire de nombreux styles musicaux qui versent couramment dans le récit distancié, le rappeur confronte son patois à d’autres formes d’écriture. Voilà pour la théorie. Pour la pratique, et puisqu’il vient de sortir son autobiographie Explications de Texte, prenons Passi : « Vieux, t’as été parfait ou imparfait, à présent je fais/Je suis mineur, j’ai Montana, Noriega dans le cerveau/Un des jeunots qui, pour la maille, au vice est devenu pro/ Trop de blème-pro dans mes propos, je me la joue escroc/Devant les flics, je vais oser, à la Kayzer Sozé. » Extraits de « Le monde est à moi », ces lyrics posent une question : qu’est-ce qui est plus intéressant ? Se gaver d’anecdotes à leur sujet ou se les approprier, ce qui exige de la patience et parfois de l’abnégation.

Non, la forme compte autant que le fond. Le paradoxe n’est pas neuf : si le rap, et plus largement le hip-hop, a réussi depuis quelques années à sortir du ghetto et à rejoindre le mainstream, autant sa grammaire est toujours sujet à débat. Avec la démocratisation de sites comme RapGenius, et l’obsession contemporaine de ne pas louper la moindre information, le risque est d’autant plus grand de passer plus de temps à lire des explications de textes, vaines ou non, qu’à tenter de les comprendre par soi-même. Un phénomène plus aberrant encore lorsqu’on sait que le rap reste avant tout une poésie scandée dégainant des références à tout bout de champ, une prosodie performative qui invite les plus acharnés du couplet-refrain à une sérieuse remise en cause.

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