Non, il va casser l’ambiance. On ne vous apprend rien en écrivant que Sufjan Stevens est la dernière personne, ou l’avant-dernière si on compte Justin Bieber, à inviter lorsque le calendrier chrétien exige de faire ripaille en famille. Il suffit de prêter attention aux lyrics égrenées sur sa dernière compilation de Noël, pas moins de quarante chansons au Valium, pour s’en convaincre. Exemple avec « Silver & Gold » : « Oh, je me fais vieux. Oh, je me fais vieux / Tout le monde rêve de jeunesse / Comment ai-je gaspillé ma vie ? / En croyant que le plaisir s’offre ici sur terre. » Ok, Sufjan est bien tout le contraire du joyeux drille. Vous hésitez encore ? Sachez que dans le coffret, entre quelques tatouages qui s’en vont à l’eau de panda en chandail, vous trouverez aussi deux essais très sérieux dans lesquels il théorise sur l’esprit de Noël et les conifères : « L’arbre de Noël n’est rien d’autre que le symbole de l’exploitation environnementale qui illustre toutes les négligences par lesquelles l’homme s’est approprié le monde dans le but de le détruire […] En un mot, le sapin de Noël est notre chienne ».
Oui, Sufjan est un putain de vegan asthmatique. De fait, pendant qu’il pleurera sur son sort, celui des oies condamnées au gavage et des dindes élevées en batterie, vous pourrez allègrement vous goinfrer de toute la bonne chair de gibier à disposition et glisser malicieusement à Sufjan : « Tu me donnes ta part de rôti de cerf STP ????? ». Si son laïus sur le sort des huîtres bretonnes finit par vous émouvoir ou vous donner la nausée, l’entrée « Oui, Sufjan est un putain de vegan asthmatique » se mue en « Non, Sufjan est un putain de vegan asthmatique et il nous les brise ».
Oui, cette compilation n’en est pas moins touchante. Grâce à des arrangements léchés, cette voix d’ange et le songwriting qui va avec, entre folk à papa et expérimentations électroniques (« Do You Hear What I Hear ? »). Et puis Sufjan n’est pas seul ; on retrouve à sa table Richard Reed Parry d’Arcade Fire, Aaron et Bryce Dessner de The National. Du beau monde donc. Plus on est de fous, moins il y a de ris de veau (sauf dans le cas de Sufjan qui est toujours, je le rappelle, un putain de vegan). Conclusion : pour plomber l’ambiance et pousser quelques membres de votre famille au suicide, invitez Sufjan Stevens, ça lui fera plaisir. Pour faire la nouba, conviez plutôt Maria Carey, The Roots et Jimmy Fallon ; eux au moins ont le sens de la teuf et des jam session comme en témoigne la vidéo du tonnerre que vous trouverez ci-dessus.
Sufjan Stevens – Silver & Gold: Songs for Christmas, Vols. 6-10, est dans les bacs