Depuis le début, Yeezus (notre chronique fleuve par ici) avait tout du disque radical. Aucune pochette de disque (ou si peu), une esthétique musicale parfois industrielle et une stratégie de communication abrasive prétendant que le disque n’aurait ni single ni clip, juste quelques projections vidéo en pleine rue. Pour Kanye et sa légendaire mégalomanie, la déclaration tenait du tour de force. Mais le rappeur n’aura pas tenu longtemps puisque rapidement après la sortie de Yeezus paraissait la vidéo de « Black Skinhead » qui, si elle ne tenait pas promesse, avait au moins le mérite d’ancrer encore davantage son auteur dans le radicalisme. Et puis soudain, le 19 novembre 2013, parut le clip de « Bound 2 ». L’incompréhension, le sabotage. Kanye West qui saborde son propre navire en rabaissant le pavillon noir pour brandir l’étendard du kitsch.
Au premier abord, c’est un certain malaise qui s’installe à la vue de Kim Kardashian se languissant sur une moto aux suspensions roublardes. Soleil couchant, purs-sangs galopant dans le désert américain et incrustations douteuses, la vidéo de « Bound 2 » met en scène un face à face entre Kanye et Kim qui se bécotent pendant tout le clip comme un duo Bonnie and Clyde sur fond d’écran Windows. Tout au long du clip, l’impression d’un voyeurisme forcené s’installe et creuse un fossé d’incompréhension entre ces visuels pompiers et le noir et blanc cinglant qui collait jusqu’alors à l’imagerie de Yeezus.
Dès lors, une question se pose. La même question qui colle à l’œuvre de Kanye West depuis le début : a-t-on affaire à un génie pop ou à au dernier des abrutis ? Sans doute un peu des deux en même temps, tant on assiste ici au suicide (cette vidéo) d’un suicide (Yeezus). Mais force est de reconnaître que passé le sentiment de surprise, le clip incriminé dégage quand même une certaine puissance visuelle, même si celle-ci va à l’encontre des balises posées par l’album du rappeur. Une chose est sûre, qu’il soit parti au ciel ou dans sa tête, Kanye West trace sa route sur sa moto des étoiles, forçant une à une toutes les barrières de péage qu’on lui impose. Prochaine étape : les astres ou le désastre.