La grande famille du rock est depuis longtemps coupée en deux. D’un côté, les gentils, occupés à composer des mélodies, à alterner refrains et couplets et à respecter, d’une certaine façon, un code. De l’autre, les morveux, biberonnés aux guitares saturées et qui n’ont cure de ces simagrées. Eux maltraitent leurs guitares, composent des hymnes sauvages non pas voués à être repris au Stade de France mais dans d’obscurs clubs à la lumière un peu glauque, et se branlent de la gloire comme de leurs premiers points de suture. Ces gens-là ont connu une étonnante heure de gloire l’an dernier, des deux côtés de l’Atlantique.
Ainsi de Wavves, Parquet Courts ou FIDLAR chez les ricains, et JC Satàn, Catholic Spray, Travel Check ou The Feeling of Love plus près de chez nous (soit l’écurie Born Bad et Howlin’ Banana, gloire à eux). Si certains de ces lascars s’adaptent assez clairement au format pop, il n’empêche que n’importe quel brûlot de ces gens fera toujours plus de bruit que n’importe quel morceau des Tame Impala. Et alors que cette année 2013, qui sera sans doute historiquement à marquer d’une pierre rouge sang pour les punks de tous horizons, touchait à sa fin, un dernier coup de semonce nous est parvenu de Laguna Beach, Orange County, Californie. Venant de l’état qui couve le déjà culte Ty Segall, on n’en attendait pas moins.
Ils s’appellent Kevin Nichols, Dylan Del-Pizzo et Elliott Glass, ont un peu moins de 30 ans, et sont de purs produits de cette scène garage qui fait vibrer les murs et les cœurs. Ils s’appellent , ce qui leur confère le titre très enviable de « groupe au nom le plus cool du monde ». Ça ne leur vaudra jamais un Grammy, certes, mais c’est toujours ça que Daft Punk n’aura pas. On ne sait pas comment nos trois lascars se sont rencontrés, mais lorsque l’on sait que Del-Pizzo, le bassiste, travaille dans un magasin de guitares, on peut se prendre à rêver d’un groupe à l’ancienne, de trois clampins réunis par leur seul amour du bruit de leurs instruments et un esprit DIY assumé (l’album n’est sorti qu’en K7 et sur leur page Bandcamp).
Et le vrai hit de , deuxième album des californiens, c’est « Ivanna No » : une véritable pépite garage-rock, du genre à se retrouver sur une compile Nuggets dans une quinzaine d’années. « This Is Not My Cock She Blew Under the Dock » (l’amour des mots, décidément), qui ouvre le disque, est une espèce de crise épiletpique d’une paire de minutes. Le genre de trucs à vous faire passer FIDLAR pour une bande de boy scouts. Mais au-delà de l’attitude, on sent que les musiciens reprennent parfois le dessus : des morceaux comme « Slaves » ou « You Don’t Like It » sont peut-être un peu trop bavards pour coller à l’esthétique.
Comme une équipe de foot qui monopoliserait le ballon 70% du temps sans réussir à marquer pour se faire finalement punir par l’adversaire, Your Ugly Sister perd en efficacité ce qu’ils ne gagnent pas en musicalité. Les titres finissent par tous se calquer sur le même modèle, avec des plages instrumentales plus calmes au milieu des tempêtes punk, ce qui rend le truc finalement assez prévisible. C’est dommage, mais malgré tout, lorsque l’on voit ce qu’ils ont été capables de faire par amour du beau geste, on peut espérer pour leur futur. Qu’ils condensent le tout en un accès de démente sauvagerie ou qu’ils fassent preuve de plus d’inventivité, une chose est sure : on gardera une oreille sur ce qu’il se passe du côté de Laguna Beach.