On oublie bien trop souvent que savoir choisir ses productions fait partie des qualités que se doit d’avoir un rappeur. Ici, les oreilles qui ont sélectionné les prods appartiennent à Young Scooter, un jeune rappeur encore méconnu mais qui n’ambitionne ni plus ni plus moins que d’être une des personnalités marquantes de l’année 2013 (bien aidé par la blogosphère rap).
Cette qualité, Young Scooter a pu la développer en suivant les enseignements de ses deux parrains dans le rap jeu : le légendaire Gucci Mane et le nouveau crooner superstar d’Atlanta, Future, qu’il a côtoyé au sein de la clique Free Bandz. De Gucci Mane, Young Scooter retient cette façon particulière de raconter son quotidien, où les anecdotes les plus dures côtoient les images les plus loufoques, nous faisant parfois basculer dans ce qui ressemble à un dessin animé pour adulte. De Future, il a absorbé cette manière de rapper qui se transforme en chant sans prévenir, et une sincérité à fleur de peau, qui nous fait passer du triomphe à l’introspection en un clin d’œil.
Un des premiers réflexes du rap-addict quand il a la tracklist d’un album ou d’une mixtape entre les mains, c’est de vérifier la liste des beatmakers. Il y a des noms immédiatement rassurants, pleins de promesses. Parmi eux, Zaytoven a depuis longtemps une place de choix, puis qu’au fil de ses productions pour de nombreux rappeurs de la baie de San Francisco et d’Atlanta, il s’est construit une identité sonore toujours synonyme de qualité.
Cela fait presque dix ans que Zaytoven a réalisé le miracle « », une décennie qui n’est pourtant pas suffisante à l’expliquer. Ce titre, qui a permis de propulser la carrière de Gucci Mane, est conduit par un schéma de notes distordues indéchiffrable. À l’écouter, on est tenté de croire qu’elles sont jouées aléatoirement, mais Zaytoven a tellement réutilisé cette formule avec succès que le doute n’est plus permis : ces notes, qui éclosent sur le beat pour imiter les bulles d’un liquide en ébullition, sont parfaitement maîtrisées. Zaytoven a un véritable secret.
C’est enfant, à l’église, que Xavier Dotson, dit Zaytoven, a appris à jouer de l’orgue. Depuis, cet instrument est resté son préféré et sa marque de fabrique. Il aime distordre ses sons, les faire rebondir d’une enceinte à l’autre, et surtout essayer d’en retranscrire les sonorités avec d’autres instruments. C’est comme ça que ses productions ont évolué au fil des ans : elles ont gagné en maîtrise et complexité, avec des ajouts de flûtes, de synthés joués sur leurs deux derniers octaves ou de riffs de violons, mais sans jamais perdre cette emprunte si particulière, inspirée des orgues de son enfance.
La touche de Zaytoven, c’est un son aigu, clair, « nice and friendly » comme il dit. Parfait pour accueillir un rappeur, en somme, puisque ses productions épurées ne parasiteront jamais un rap.
Il est alors devenu un des producteurs préférés des trappeurs d’Atlanta, ces dealers qui aiment faire part en musique de leurs récits sur la cuisson et la vente de drogues. Avec Street Lottery, Zaytoven se retrouve encore à imposer sa marque sur une mixtape de trap music. Ses productions sont la colonne vertébrale du projet, et la plupart des autres producteurs se sont calés sur ses sonorités, afin de donner une cohérence à l’ensemble. Habitué aux productions hyper vitaminées, conduites par des basses très lourdes, Lil Lody offre alors deux instrumentaux à l’opposé de ce qu’il propose habituellement. Les basses ont presque disparu de « Colombia » et restent en retrait sur « Beautiful Day », montrant respect au superbe sample du morceau.
Mais sur le reste, les basses et les caisses claires d’une boite à rythme TR-808 continuent quand même à faire résonner nos cages thoracique (on ne déconne pas avec les vieilles traditions, à Atlanta). Ces dernières années, avec des figures comme Chief Keef, Alley Boy ou Waka Flocka, la trap music avait tendance à s’assombrir, à puiser ses forces dans le chaos et la crasse. Avec Street Lottery, Young Scooter propose quelque chose à l’opposé, et nous rappelle au passage que la trap music peut aussi être quelque chose de « beau ».