Chroniques

Top albums 2013 #19 Yo La Tengo

C’est comme ça. Un disque de Yo La Tengo, c’est comme un nouvel épisode d’une série culte à petit budget mais parfaitement charpentée dès le départ. Toujours un peu confidentiel, mais l’initié a l’assurance de savourer un nouvel épisode toujours copieux, toujours classe, et, d’une manière ou d’une autre, toujours surprenant. 2013 a eu la chance de voir passer Yo La Tengo et son Fade, belle peinture impressionniste en cinémascope. Un disque que l’on s’attendait à aimer en le voyant arriver et qui a tenu ses promesses. Depuis sa sortie en en janvier, le trio est en plus passé un peu partout en tournée pour des concerts divisés en deux actes : le premier acoustique, le second, plus électrique. Présente dans l’un comme l’autre « Ohm » a confirmé le bien qu’on pouvait en penser dès la première écoute, et puis comme on l’écrivait déjà en janvier, « Before We Run » a conservé en 12 mois sa majesté, surtout dans sa version à rallonge en direct.

Fade incarne pourtant une mini révolution dans la routine particulière du groupe. Le concept d’album déconcertant qui passe du coq à l’âne n’est pas reconduit. Le disque brille par sa cohérence de son et de production. Et justement, côté producteur, exit le fidèle Roger Moutenot, le trio de Hoboken NJ a essayé autre chose. Comme Timbaland n’était bizarrement pas dispo pour l’aventure, ils se sont rabattus sur John McEntire, surtout connu comme étant l’un des batteurs de Tortoise. Du coup, l’album est traversé par une unité d’humeur inhabituelle, qui exclut les morceaux déjantés et rapides que le groupe affectionne. Ce manque de variété dans les tempos et les ambiances ramasse le format habituel de l’album de Yo La Tengo sur 40 minutes, alors qu’on est plus habitué aux 70 réglementaires. D’où cette consigne de précaution adressée aux fans : oui, le suiveur peut se retrouver désarçonné de voir l’album se finir si vite.

Comme toujours, le plaisir se distille au fil des réécoutes et finalement l’éclectisme des albums précédents n’apparaît plus que par touches dans un paysage toujours un peu cotonneux et engourdi. La guitare sinueuse d’Ira Kaplan intervient avec toujours autant de singularité tandis que les voix (que ce soit Ira ou Georgia en lead) sont partout effacées voire translucides avec un travail sur les harmonies rappelant le folk britannique. Yo La Tengo n’a jamais autant ressemblé à une équipe de naturalistes de la pop.

Contrairement à 95% de leurs confrères, les trois Américains n’ont jamais donné dans le romantisme pour composer une chanson, la jouer et être un groupe de rock. Ils agissent tels des dompteurs conscients du ressort de leurs mélodies, de leurs effets (c’est ce que va illustrer le titre « Well You Better »). Ils sont tout simplement des curieux de la mélodie, du format chanson et des tempos. Prenez « Two Trains » sur ce disque et cette description prend tout son sens : le rythme marécageux fixe l’atmosphère. Les harmonies vocales se déploient en chuchotements. Tout dans les arrangements prend des accents crépusculaires sans dramaturgie excessive. À l’écoute de « Is That Enough », on se prend à entendre des cordes désabusées comme peu de groupes les avaient utilisées depuis Big Star, sur leur troisième album.

Mais s’il faut retenir deux sommets époustouflants de ce disque, pour ne pas dire ses deux raisons d’être, il faut mettre en avant le premier morceau, « Ohm » et le dernier, « Before We Run ». Un pour Ira Kaplan et l’autre pour Georgia Hubley. Dans les deux cas, une structure répétitive, dans les deux cas une mélodie de chant qu’on dirait plaquée sur une comptine. Sur « Ohm » on retrouve un climat krautrock souvent utilisé par le passé, mais en version apaisée, relevé par une richesse dans les percussions et un souffle envoûtant. « Before We Run », malgré sa diction délicate, sonne comme la fin d’une épopée : portée par cuivres, cordes et une séquence de batterie, pour le coup dans la droite lignée de Tortoise, la chanson s’impose comme un des moments musicaux les plus authentiquement glorieux de ces dernières années. Ce n’est pas l’album le plus ludique de Yo La Tengo, mais Fade est avant tout à concevoir comme le nouveau rouage d’une discographie plus que jamais sans tâche.

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