Chroniques

Woodkid The Golden Age

Après une nuit torride avec Aphrodite, Apollon (qui n’est pas qu’un beau gosse mais aussi le dieu des arts) décida un matin, après avoir écrasé sa clope, de mettre son excellente humeur au service d’une cause juste. Il entreprit alors de donner non pas un mais deux talents à un certain Yoann Lemoine, dont la barbe abondante lui rappelait papa Zeus : musicien et réalisateur. Toutefois, comme l’univers répond à un équilibre de forces et que tout caprice des dieux peut se révéler fatal, il déposséda du même coup l’ensemble des représentants de la Génération Goldman, préférant doter le « gosse en bois » plutôt que « l’homme en or ». Un pied de nez au faste de l’Olympe, sans doute…

Retour sur terre. Quarante ans de crise, trente d’austérité ont saccagé le moral de tous les Français. Tous ? Non ! Un village peuplé d’irrésistibles Gaulois résiste encore et toujours à l’antidépresseur ! Autour de leur chef Busy Pix, ils propagent la Franche Touche à travers le monde. Mais la Franche Touche n’est pas qu’une affaire de musique. Un célèbre duo de bardes prônant la Justice pour tous fut considérablement aidé dans sa mission par la vidéo magique du druide So Mix.

Sur les terres de So Mix, de nombreux autres druides (dont on modernisera le nom) font des merveilles : Fleur & Manu, Megaforce, Edouard Salier, Jonas & François, Jérémie Rozan… C’est là que Yoann Lemoine entre en jeu. Adepte de la haute définition et doué d’un sens aigu du contraste, le touche-à-tout a d’abord goûté au cinéma avant de réaliser des clips. C’est ainsi qu’il barbote dans la piscine, caméra au poing, avec et fait des concours de mines boudeuses avec quand ce n’est pas de crânes chauves avec . Mais c’est avec la vidéo en slow motion de son propre single « Iron » qu’il se fait connaître, en mars 2011, en tant que Woodkid. Après tout, les druides aussi ont le droit de boire de la potion.

C’est donc deux ans après la diffusion de ce morceau, qui a illustré la bande-annonce du jeu vidéo , que sort The Golden Age, un premier album précédé d’un matraquage médiatique inouï. Difficile de passer au travers du phénomène. Plutôt que d’opter pour une communication classique (la presse donne un avis, le public adopte ou non), Woodkid a suscité un buzz (sans que l’on sache vraiment s’il en est la source ou simplement l’heureux bénéficiaire), que la presse s’est empressée de relayer. De l’utilisation de « Run Boy Run » pour une pub Nike à la refonte provisoire de l’habillage sonore de France Inter, l’opération marketing continue de battre son plein.

Plutôt que de crier au it-kid, il est temps de juger sur pièce. The Golden Age est un album peplum d’un grand panache et nul ne peut dire, au vu de ses arrangements soignés, qu’il a été bâclé. S’il existe une musique « épique » (un terme que l’on emploie actuellement à tout bout de champs), c’est bien celle-là. Mais à l’exception d’une poignée de chansons déchirantes comme « Boat Song » et « The Shore », ces morceaux sont d’une sensibilité limitée. Très contrôlées, jusqu’aux intonations de crooner, ces compositions ne laissent pas de place aux fragilités, aux failles. Le cœur s’emballerait-il sans les cordes et les cuivres ? On peut regretter, par exemple, que le court instrumental « Falling », moins ostentatoire, n’ait été plus exploité.

L’autre limite de The Golden Age est qu’il souffre de l’absence d’images. Élevé à la musique de films, Lemoine était parvenu avec la vidéo d’«  » à créer un objet global, au luxe exceptionnel. Difficile aujourd’hui de se projeter sur le décorum baroque de l’album avec la seule voix d’un chanteur aussi timide et peu charismatique, qui semble porter le costume presque par obligation. L’aura viendra, certainement. En attendant, sans doute conscient de la nécessité pour lui d’adopter une approche transversale, Woodkid fournit en édition limitée un beau livre avec The Golden Age.

Longtemps maturé, cet album est la victime d’un succès anticipé. Le bruit qu’il a généré oblige instantanément à prendre parti : « Tu as écouté le Woodkid ? Alors, tu aimes ou tu détestes ? » Laissons le temps à The Golden Age de s’apprécier comme un bon vin ou de tomber dans l’oubli comme une vulgaire piquette. Car il n’y a finalement rien de divin là-dedans. Comme dirait Scroobious Pip, nous ne sommes que des mélomanes et Woodkid, juste un musicien.

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