Chroniques

Willis Earl Beal Nobody Knows

Enregistré sur un magnétophone poussiéreux, Acousmatic Sorcery sort en avril 2012. Dans le sillage des meilleurs disques sortis l’année dernière, la chose fait figure d’ovni. Tant par la puissance des compos de Willis Earl Beal, que par le fait que le mec soit un pur outsider sur lequel personne n’aurait parié un kopeck. Mais avec l’arrivée de ce premier album sur le marché, il se murmure que la musique du « super unknown » vient d’ailleurs.

Décrit comme un freak du genre instable, façon Daniel Johnston ou Screamin’ Jay Hawkins, passé de l’ombre à la lumière du jour au lendemain pour un album fait avec trois bouts de ficelle, Willis Earl Beal fait parler de lui. Mais c’est surtout pour les casseroles qu’il traine avec lui qu’une poignée de gens vont s’y intéresser. Et comme il est bon ton d’entretenir le mythe, la presse se gargarise de tout un tas de trucs à son sujet. Dans le désordre : l’armée, d’où il se fait virer pour des problèmes de santé ; la case clodo ; l’alcool ; la distribution de flyers à son effigie dans les rues d’Albuquerque (« Call me and I will sing you a song », ) pour se trouver une copine, ou de CD-Rs sur lesquels il a gravé quelques unes de ses chansons ; Chicago, où il est hébergé par sa grandma. Bref, à son arrivée, l’industrie compte un cinglé de plus.

À l’époque de Acousmatic Sorcery, Willis est sans le sou. Une guitare négociée au marché aux puces local, dans laquelle il chante pour créer un effet de réverb’, des percussions faites d’ustensiles de cuisine maison et une harpe miniature, voici le maigre attirail de ce Wesley Snipes de poche. Et si celui-ci peut sembler difficile à appréhender, c’est parce qu’il révèle l’incapacité de son auteur à écrire de vraies chansons. Les berceuses de Beal, entre blues boueux et soul ravagée, vous tordent le ventre. Bien plus que de simples ballades lo-fi, elles sont d’effrayants témoignages.

Mais quand hier, la production cheap d’Acousmatic Sorcery laissait une large place à l’incroyable organe de Beal, il est clair qu’aujourd’hui, celle de Nobody Knows lui vole la vedette. Tout est trop grand, trop confortable pour un mec incapable de se sentir à l’aise plus de cinq minutes dans ses propres baskets. Sur « Coming Through », il en vient même à partager l’affiche avec Cat Power. Celui qui était incapable de nouer des liens sans ses petits prospectus donne désormais dans le featuring glamour. Et si la présence de la chanteuse, Instagrameuse forcenée, étonne, elle n’apporte rien de plus que la satisfaction de s’enfiler une pop song indie en bonne et due forme. Résultat, dès le deuxième titre, on a l’impression que l’album se fige. À ce moment-là, personne n’est en mesure d’éviter le cliché du deuxième effort trop produit pour être honnête. Parce qu’il est question de moyens ici. De cette abondance qui a permis à Willis de sortir les sons qu’il avait dans la tête pour en faire… de simples chansons. À l’image de « Burning Bridges », « The Flow » ou « Blue Escape ». La mise à nu cacophonique du premier album laisse donc place à l’efficacité de l’orchestration du second.

Reste le talent du bonhomme. Son ingéniosité aussi. Sur « 2 Dry 2 Cry », notamment, il tourne les arrangements à son avantage pour tendre vers le blues disgracieux de ses débuts. Même si Willis prouve qu’il reste cet oiseau rare, on se demande s’il ne finira pas déplumé sur l’autel de la pop. Et pourtant, dans donnée au Guardian, début septembre, il expliquait redouter ce qui l’attendait. À savoir, être adoubé par la hype. Avec tout ce que cela implique. On est alors en droit de se demander ce qui pousse vraiment Willis Earl Beal à poursuivre une carrière dans la musique ? Est-ce l’envie de reconnaissance (il en a rêvé, paraît-il) ou le besoin de laisser une trace ? Personne ne le sait vraiment. Lui non plus, d’ailleurs.

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