Chroniques

Warpaint Warpaint

Dans la furie internet, il est parfois important de savoir prendre son temps et rester discret. À contre-sens de tout empressement 2.0, les filles de Warpaint ont toujours pris soin d’affiner leurs idées, de maturer leur démarche plutôt que de catapulter en ligne des nouveaux morceaux toutes les semaines. Rappellons qu’elles ont formé le groupe en 2004. Il leur aura donc fallu plus de six ans pour accoucher de leur premier album, The Fool, en 2010, et trois années supplémentaires pour lui donner une suite sobrement intitulée Warpaint. Au rythme de deux disques en dix ans, les californiennes sont donc à des années lumières du stakhanovisme exacerbé qui agite leurs voisins garage des Oh Sees ou de Ty Segall. À l’inverse de ces derniers, les membres de Warpaint ont su laisser du temps aux histoires personnelles et humaines qui font souvent le lit invisible des grands disques. Ainsi, au lendemain des Printemps Arabe, la guitariste Emily Kokal est par exemple allée s’exiler en Égypte, poussée par un mauvais trip de LSD qui lui avait fait voir des égyptiens partout. Indirectement, ces expériences en forme de soupape ont joué un rôle dans ce second album qui semble être l’œuvre mûrement réfléchie d’un groupe stable et apaisé.

Enregistré à l’isolement, dans une maison plantée en plein milieu du désert de Joshua Tree, Warpaint avait pour but de retrouver un peu du calme qui manquait aux tournée incessantes qui ont suivi The Fool. Il en résulte un minimalisme élégiaque, un sentiment d’épure qui traverse des morceaux à la fois vaporeux et terriblement organiques. Produit par Flood (Nick Cave, U2, PJ Harvey ou les Smashing Pumkins) cet album prend le parti d’une radicale mise en avant de la basse et de la batterie, qui deviennent dès lors les deux principaux protagonistes de ces douze titres. En cimentant ainsi son assise rythmique, Warpaint s’imprègne des sonorités brumeuses du dub, se faisant l’écho d’une tradition de bidouillage musical dont l’un des derniers avatars se prélasse aujourd’hui sur les plages californiennes.

Car via des groupes comme Peaking Lights ou l’écurie de Not Not Fun Records, les influences dub se mêlent depuis déjà quelques temps au rock psychédélique qui peuple historiquement les rues de San Francisco et Los Angeles. Dans une approche sensiblement différente (quasi krautrock), les filles de Warpaint intègrent elles aussi cet élément à leur musique mais en privilégiant davantage l’articulation batterie/basse que les boucles lysergiques. C’est donc avec une démarche définitivement plus frontale que le groupe puise ici dans le dub pour abreuver son rock, comme en témoigne la puissante rythmique de « Hi » sur laquelle tournoie une voix noyée dans l’écho. Mais à en croire les interviews accordées ici et là, l’influences les plus conscientes de cet album viennent du r’n’b et du hip-hop, genres que le groupe n’a de cesse d’encenser au fil des discussions et qui expliquent certains morceaux comme « Disco//Very » qui dépassent très largement les cadres classiques du rock.

Mais loin de s’enfermer dans un minimalisme primaire et purement rythmique, Warpaint est un album aux ambiances et atmosphères très travaillées. Les voix y prennent souvent une texture fantomatique comme sur « Drive » ou « Teese », tandis que les claviers jouent souvent davantage sur les textures que sur les mélodies. Et c’est précisément sur ce point que Warpaint déçoit parfois un peu. Une fois passé les rythmiques d’acier de cet album, on réalise que presque aucune mélodie ne dépasse réellement l’anecdotique, à l’inverse de The Fool et plus encore de leur premier EP Exquisite Corpse. Si « Love Is To Die » garde donc la stature de l’imposant single qu’il est, si Warpaint reste un bon disque, il n’empêche qu’on a parfois l’impression d’être face à une œuvre un peu survendue par une presse généraliste qui s’acharne à présenter les filles de Warpaint en icônes glamour et sexy, en pop stars capables de signer des pelotons de tubes sur la bonne foi d’un sourire de circonstance. Finalement, on tient peut-être là un début de réponse à la discrétion habituelle de ces indie kids ordinaires.

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