Chroniques

The War On Drugs Lost In The Dream

Vous aviez aimé Kurt Vile l’an dernier ? The War On Drugs risque de taper encore plus fort cette année. Voilà un disque de Secretly Canadian promis à une rotation en radio nationale (c’est déjà le cas en Angleterre). Alors oui, les oreilles sont entrain d’évoluer. Ce genre de musiciens un peu autistes dans leur americana de la lose ne se la jouent plus aussi puristes qu’avant. Du coup, leurs mélodies s’universalisent et ils distillent un sentiment d’honnêteté garantie sans cynisme tout à fait bienvenu.

Ce troisième album de The War On Drugs le démontre de manière spectaculairement immédiate, probablement grâce à la douce intensité du leader du groupe, Adam Granduciel. Moins insulaire qu’auparavant, son grand objectif avec Lost In The Dream fut l’épanouissement de son songwriting, comme l’explique-t-il en interview au Rolling Stone américain : « Au lieu de poursuivre dans l’ambiance “son de grands espaces ” des deux albums d’avant, j’ai voulu des chansons qui parlent plus aux gens, qu’ils puissent y retrouver une partie d’eux-mêmes ».

Illustration d’entrée avec la copieuse et dantesque « Under The Pressure ». Loin d’une relecture du jam ego-maniaque de Queen et Bowie, le morceau nous installe dans le décor constant du disque : un cadre en cinémascope et une diction mi-Dylan époque prêcheur born again, mi-Thurston Moore période jeune déjà vieux. Épique dans la forme mais jamais grandiloquent dans le fond, la chanson reste simplement le récit d’un narrateur qui cherche la motivation pour faire face à ses propres responsabilités.

Trouver un ton juste : voilà la plus grande réussite du disque. Il se pare d’un emballage musical de road-movie 80’s, rythme mid-tempo sans rupture et guitare lead qui souligne le propos (à la Lindsay Buckingham de Fleetwood Mac). Mais plutôt que de chanter des romances nunuches ou l’avènement de jours meilleurs, le vieux compère de Kurt Vile parle de 2014, ses petits plaisirs, sa médiocrité globale, sa morosité. Du coup, le plaisir rétro est pertinent, sans être nostalgique.

Prenez aussi et Wagonwheel Blues, prédécesseurs de Lost In The Dream et doublette d’odes contemplatives de la médiocrité de la vie moderne, sans spleen particulier ni refrain démago/populo taillé pour les stades. Voilà peut-être la clé de cette attirance actuelle pour The War On Drugs : le groupe de Philadelphie ne triche pas sur les valeurs cohérentes qui peuvent sublimer la pop music en 2014. Il serait ridicule aujourd’hui de faire du Springsteen ou un nouveau « Blowin’ In The Wind » en chantant sur de grands thèmes humanistes et fédérateurs. Le Boss et le Zim sont des incarnations d’une pop music des origines, naïve et vouée à « libérer les corps et les têtes ». Aucun musicien de moins de 60 ans peut décemment être crédible aujourd’hui en creusant ce sillon, précisément parce que la musique a perdu depuis longtemps ce rôle d’élévation de la conscience sociale. En revanche, la magie narrative de la mélodie marchera toujours.

Du coup, le succès grandissant et mérité de l’énorme single «  » s’explique. La chanson est familière, chaleureuse et rappelle la simplicité instinctive de l’enfance. Elle fait tant penser au «  » de Springsteen (devenu depuis tube indé grâce à par Electrelane) qu’à la pop maudite de Felt sortie parallèlement aux succès blockbuster du Boss. The War On Drugs prend à l’un et à l’autre pour ainsi s’adresser à tout le monde en méprisant le mainstream. Ainsi devons-nous vous prévenir : voilà un album qui pourrait passer le cap du buzz et rester un marqueur. L’Amérique a de nouveau trouvé du rock à guitares crédible à envoyer sur les ondes.

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