Elle gueule. Elle peste et elle tonne parce qu’il rentre tard, ne s’occupe ni d’elle, ni du gamin et parce qu’il ne ramène pas assez de fric à la maison. Elle gueule. Et il rétorque. Et le bébé couine. Et ça swingue sur une mélodie qui a du bleu dans le ton, porté par un riff lancinant et trois notes de synthés qui rebondissent au loin. Une scène de ménage qu’on image assez bien portée sur grand écran. C’est ainsi jusqu’à ce que le mec se barre et rappe son blues sur le bitume d’un ghetto crado, théâtre de ses exploits de gangsters et de son désespoir d’homme. Il ne roule plus des mécaniques, le fier à bras. Ill Street Blues. Comme le vague à l’âme brinquebalant d’une canaille en peine. Les cordes grincent et le rap vacille, voilà le lyriciste qui croule sous le poids de toutes les peines du monde, la crise de sa nana et la déglingue du quartier en tête. Fatigue. Soupirs. Ill Street Blues. Voilà le premier titre du premier LP (disponible) du dénommé Wara, nouveau hot-boy de la planète hip-hop indé.
Inconnu du bataillon emcee, le fameux Wara a bien choisi le nom de son disque puisqu’il n’est autre que la reprise directe d’un classique doré du rap yankee : l’immense Ill Street Blues du gargantuesque Kool G Rap ; un hymne total au macadam new-yorkais du début des nineties, gonflé à bloc par un flow mitraillette et une boucle jazzy ; un rap en lunettes noires, index halluciné de tous les vices des bas-fonds ricains. Avec Wara, l’affaire est sûrement moins éclatante, moins critique mais elle déroule le même lot d’acidité. Ici, il est aussi question du revers ombragé du rêve ricain ; loin des buildings, on bidouille, on magouille et on tambouille pour survivre. Le temps de dix-sept titres parfaitement calibrés, le minot Wara compte son histoire de jeune meurtrier, gamin incandescent qui ne croit à rien, ne jure que par la rue et deale sévère le dimanche pendant que les autres vont à l’Eglise.
Cela dit, si, a priori, le scénario présenté est plutôt classique, Wara n’a rien d’un énième marlou qui ne ferait que dépeindre la rudesse de son quotidien en bas du block. Le Ill Street Blues de Wara, c’est avant tout une histoire tout en tristesse et faiblesse qui vous attrape par le col et gifle les tympans ; c’est le comte d’un chevalier des rues qui n’est en fait qu’un pauvre gandin solitaire, rejeté par la société comme par sa nana. Le Ill Street Blues de Wara, c’est un aveu, une confession : le crime paie mais n’achète pas forcément le bonheur. De « Coma » à « Peddlin for Dear Life » en passant par « Make Em Relate », c’est la bile d’une sale vie qui jaillit du micro. Enfin, nonobstant la crudité du thème, reste que le bidule est parfaitement mené : le flow de Wara vrille selon les instrumentales, ça souffle, ça peste, ça tonne, ça balance, ça accélère et ça ralentit. Et les instrus, d’ailleurs ? Comme il est bon de voir un lascar de la toujours graisseuse Atlanta porter son choix sur des mélodies qui empruntent au jazz jadis usité par le vieux Kool G Rap. Peut-être parce qu’avant de s’établir sous le soleil de Géorgie, Wara s’est fait la main sous la pluie d’East New York, au côté de vieux compères passionnés par ce qui se faisait avant. On ne se refait pas, non.