On l’imagine avec un look du début des années 90, du genre grunge et chemise à carreaux. Un poil laid, le mec, avec ce physique – pour l’instant imaginaire d’une incroyable banalité. Un peu pataud, aussi. Une coiffure à la Jason Pierce ou d’inspiration Robert Smith, avec une mèche devant les yeux qu’il lui faudrait balayer d’un revers de la main toutes les cinq minutes. Sa musique nous renseigne déjà sur son regard : on y entrevoit un lac où il ne se passe pas grand chose, où seule une certaine désinvolture bousculerait la lassitude ambiante. Aussi, on lui prêterait volontiers une propension à dégainer son majeur dès que ses nerfs chauffent un peu trop. Bref, ce que sa musique nous dit, c’est que Vinyl Williams doit être un sacré control freak, le genre à gâcher 20 années à trouver la bonne reverb pour son prochain morceau. Un Kevin Shields en somme. Et même qu’après vérification, nous ne sommes pas tombés bien loin.
Si l’on se baladait dans les milieux arty prétentieux, aux côtés de clichés ambulants comme le communicant Pento pédé ou la bourgeoise vison UMP, on nous présenterait Lionel Williams en disant qu’il est un artiste protéiforme de 22 ans seulement. Car voyez-vous, en plus d’être un artiste musicien rêveur et talentueux à l’univers singulier – toujours singulier l’univers hein, Lionel -appelons le Io-Io, excelle visiblement dans l’exercice de niveau grande section de maternelle communément appelé « collage artistique ». Laissons Io-Io expliquer son travail : « Je créé de l’art surréaliste qui incorpore de l’imagerie religieuse, du sensationnalisme mystique, des lieux sacrés et quelques concepts psychédéliques. On peut qualifier ça de ‘sacred-magic-mystical-psychedelic-religious-collage art‘. » Mais ne soyons pas trop désobligeants et moqueurs. De la même manière que vous n’imaginez pas tout ce qu’on peut faire avec une simple guitare en plastique et un ordinateur, vous n’imaginez pas non plus le bouillonnement esthétique que l’on peut obtenir avec une page de la Bible, trois bouts de PQ, deux morceaux de papier fluo et un tube de colle.
Parlons plutôt de son côté le plus intéressant : le musicien. Io-Io vient d’une famille où la musique, ce n’est pas rien. Arrière grand-père batteur de jazz, grand-père immensément célèbre, qui a, entre autres, composé la musique de Star Wars, Les dents de la mer, et plein d’autres blockbusters de Spielberg, un oncle chanteur de TOTO, et un père batteur occasionnel de Crosby, Stills and Nash et Tina Turner. En clair, en plus d’un pécule familial à faire pleurer un enfant bengladais, Io-Io traîne également un héritage artistique important. Et c’est peut-être le poids qui pèse sur ses épaules qui explique le psychédélisme de ses œuvres. Après tout, le meilleur moyen de vivre par soi-même et pour soi-même n’est-il pas de s’éloigner au maximum de ses maîtres et parents ? Ou alors c’est juste un hippie-hipster qui fait du rock psyché en lisant Ralph Waldo Emerson (à la Moon Duo) et bidouille des effets électroniques sur son Mac en plein expérience de solitude chimique.
Ces derniers temps, dans la sphère psyché minimaliste, la recette est bien souvent la même : nappes de guitares pleines de reverb, couches de synthétiseurs, rythmique de métronome, voix en retrait presque imperceptible. Bref, à longueur d’albums qui se ressemblent et s’assemblent, on s’ennuie ferme. Sur Lemniscate, premier album de Vinyl Williams -Vinyl c’est bien mieux que Io-Io faut avouer, on n’échappe pas à la formule, mais le petit californien a eu l’intelligence de ne pas en faire un album entier. On s’ennuie un peu sur le premier morceau « Tokyo -> Sumatra » et sur « Open Your Mind », déjà entendus un bon million de fois. Le reste est bien plus réjouissant : l’une des missions de l’artiste, c’est de tromper son spectateur. Vinyl Williams, lui, arrive à jouer de très malins artifices dans le domaine musical, à l’instar de la chanson « Higher Worlds », dont le groove vous fait croire qu’on à affaire à de la bonne vieille power pop FM, avant de révéler une pépite de pop expérimentale et lyrique. Avec « Who Are You ? », on retrouve plutôt du Radiohead, virage électro version The King Of Limbs, en forcément plus planant, avec un arrière goût chimique évident, mais surtout avec ce côté « j’enregistre-dans-ma-chambre-avec-la-télé-allumée-et-je-vous-emmerde » lo-fi qu’on retrouve chez Mac DeMarco, le tout appliqué à une musique de transe.
Sur ce Lemniscate, les influences sont aussi nombreuses que variées : Ride pour le côté noisy, Animal Co. pour les bidouillages électro, et même U2 (sic!). Sur « Follow In Your Dreams », Io-Io (finalement…) sa voix se déguise en celle de Bono, avec beaucoup de reverb, ce qui laisse imaginer à quoi ressemblerait U2 s’ils troquaient les shooting en compagnie des Premiers ministres du « monde libre » pour un peu d’ambition musicale et une bonne batterie de drogues récréatives. Pour résumer, en 2012, on peut encore prendre du plaisir à écouter du rock psychédélique, et si on ne devait retenir qu’un seul album de ce genre, ce serait celui de Vinyl Williams. Et celui du Brian Jonestown Massacre. Faut pas déconner non plus.