Pour les gus qui n’ont pas compris que Spring Breakers est destiné à faire moins d’entrées que le dernier film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri – parce qu’il ne ressemble pas à sa bande-annonce qui laissait entrevoir une orgie perpetuelle mélangeant un Long Island de Piranha 3D, Project X, Zach Galifianakis et Mon Oncle Charlie version pedobear – il suffit tout simplement d’écouter sa bande-originale pour en être convaincu.
Se faire une idée de l’objet revient déjà à accepter qu’Ashley Benson, Vanessa Hudgens, Selena Gomez et Rachel Korine ne chantent pas une seule seconde dessus. Ce qui condamne des années de High School Musical. Sans les images, l’album tente de survivre en boudant les quatre naïades. Alors que la rue continue de se poser des questions morales sérieuses comme: « ma fille de 12 ans peut-elle arrêter de regarder Ça Cartoon, porter un grillz et sniffer de la cocaïne dans le creux des reins de sa meilleure copine Facebook? », la soundtrack est le parfait Smecta pour les quelques parents qui refusaient de cautionner un film faisant l’apologie des armes à feu, de la libido adolescente et de l’argent facile.
Harmony Korine, à l’heure de choisir la musique pour illustrer son Spring Break à lui, a préféré alterner entre excroissances hip-hop/rap et EDM, combinaison qui se marie plutôt à l’écran mais qui ressemble plutôt à un divorce une fois sur disque. Alors que les gremlins décident de quitter l’amphi et de braquer un kebab avec des jouets en plastique pour se permettre le voyage de rêve – parce que la vie leur manque – sur une bande-originale catchy, le fruit de la collaboration entre Sonny Moore et Cliff Martinez s’avère plus difficile à digérer sans une armada de corps post-adolescents dénudés.
Le premier protagoniste, Skrillex, est un chanteur/DJ célébré pour avoir rasé une partie de ses cheveux – à la Britney – et avoir cartonné avec un son électronique miam-miam-dubstep où l’on peut encore dénicher quelques résidus de son précédent groupe tendance emocore. Sonny a mis un peu de sa personne dans le film avec notamment deux chansons: « Scary Monsters and Nice Sprites » ouverture manichéenne sur la plage et « With You, Friends (Long Drive) » sorties fin 2010 sur un EP. La première track est un grand classique de ses sets et correspond si mal aux passages volontairement ralentis de Korine qu’elle finit par séduire.
L’autre mec, c’est Cliff Martinez, ancien batteur des Red Hot Chili Peppers qui a déjà travaillé au cinéma sur Drive notamment et surtout avec Steven Soderbergh sur le son de Contagion, Traffic ou Solaris. Coïncidence, son premier taf alimentaire consistait à composer la musique du show de Pee Wee Herman, l’adulte-enfant le plus marrant des États-Unis. Mais pourquoi diable parier sur cette combinaison ? Était-ce pour contre-balancer l’ambiance rave et beer-pong où des centaines d’étudiants déchaînés exhibent leur boobs et détruisent les plafonds des chambres de motel ? Simplement titrés d’après les dialogues les plus « familiaux » du film, les créations du couple Martinez/Skrillex sont les antithèses des tracks d’ambiance que vous rêveriez d’écouter pendant votre spring break à Cancun-sur-Orge.
À moins d’être accroc aux nappes éthérées dont l’ambition ayurvédique a été prouvée par des shamans/médecins, »Bikinis & Big Booty Y’all » et « Never Gotta Get This Pussy » risquent d’aggraver massivement n’importe quelle gueule de bois. Puisqu’il est beaucoup question de fluides dans le film – cf les longues scènes de plages, de piscines et d’alcool où l’écume des verres, celle des vagues et des salives se rejoignent en bouquet – il faut bien rappeler que Cliff Martinez a aussi composé la BO d’un jeu vidéo, Spore, qui consiste à faire évoluer des amibes dans un environnement proche du liquide amniotique.
Le son est toujours un peu glauque et collant avec la sensation d’arriver après l’after de l’after de la fête. Une mélancolie aux accents de Ferris Bueller sous autotune dans « Smell this Money », l’écho de « Ride Home » et le sonar de « Park Smoke » à la recherche de quelques poissons ou de deux-pièces abandonnés. Même le rap game a tourné romantique. Waka Flocka Flame en a marre sur « Fuck This Industry » où il répète aimer sa famille, sa mère et ses tantes exactement comme le personnage de Selena Gomez qui appelle sa mamie pour l’inviter au prochain spring break.
Korine a défendu la construction de son film, parlant des répétitions visuelles et auditives comme des loops d’une piste – des corps, des conversations téléphoniques et des mots, « peur », « je veux rentrer à la maison », « peur », « spring break » et « putes ». Il a souligné l’importance de la musique parce que oui, il y a effectivement 88 minutes de sons pendant les 90 minutes de Spring Breakers. Comme dans le film, l’arrivée tardive de Gucci Mane donne une dimension beaucoup plus pop à l’œuvre. Son « Young Niggas », relayé par Rick Ross et Meek Mill dans « Big Bank » offre les garanties thug attendues par les fans.
L’apparition que les fans attendaient moins c’est peut-être celle de Dangeruss. Sur « Hangin’ With Da Dopeboys », le rappeur blanc s’offre avec force tatouages et dreadlocks. Le rêve d’Harmony Korine était de transformer James Franco en Riff Raff au sujet duquel vous pouvez apprendre davantage ici. Finalement, en s’inspirant d’un autre MC white trash, le réalisateur est surtout parvenu à canaliser la folie inhérente de ces gus. Celle visible dans son clip « My Fork », la fourcgette étant l’ustensile utilisé dans le processus de production du crack sur fond de turbo folk balkanique.
Ce mec vient de Floride et n’oublie jamais de remercier les internautes avec un message adressé aux « 79 péquenots qui ont mis un pouce vers le bas, vous contribuez aux vues que je transforme en revenus et que je collecte ensuite grâce à la monétisation. Vous pensiez que j’étais un fissdepute totalement débile hein? ». Avec sa dégaine de punk à chien, Russ « Dangeruss » Curry, mi-beauf mi-moite, interprète avec James Franco un titre joué en live sur la plage.
Alors que le film se termine sur un « Scary Monsters in Strings » justement surplombé de cordes en hommage aux héroïnes, la bande-originale laisse un goût d’inachevé. Plus que les images de Korine, les cagoules fluo ou les tresses de James Franco, finalement, c’est Britney Spears qui manque. Deux des meilleures scènes du film sont articulées autour des tubes de la chanteuse pop rasée. « Hit Me Baby One More Time », chanté a cappella par les quatre coquines, 24h avant leur interpellation musclée. Et « Everytime », transformé en ballet de kalachnikov alors que James Franco accompagne au piano, en introduisant la chanson d’un dernier contre-pied: « un titre d’une déesse de la pop pas super connue ».