La ville qui ne dort jamais vient de se réveiller. En 2011, la comète ASAP Rocky a illuminé d’une pluie de paillette les rues de New York que la météorite Odd Future avait éclipsé de la cartographie du hip-hop US. On a alors découvert qu’au fond des impasses, à l’ombre des lignes de métro aérien et de l’autre côté du Brooklyn Bridge s’agitait toute une horde de jeunes rappeurs affamés. Dans cette constellation de cliques soudainement mises en lumière est réapparue l’une des motivations premières du rap : l’envie de bouffer.
Tandis que certains dévoraient du micro avec un passéisme réussi (Joey Badass et son crew Pro Era), d’autres engloutissaient des rafales de pilules de couleur au point d’en perdre le Nord. Pourtant plus habitué au soleil californien, le psychédélisme a donc débarqué mystérieusement au pied des tours enclavées dans un coin de la Grosse Pomme, avec des groupes comme Flatbush Zombies et surtout The Underachievers. Grand prêtre des mantras numériques, Flying Lotus a vite fait de signer ces derniers sur son label Brainfeeder, pérennisant ainsi la fin du conflit Est-Ouest.
Il faut dire que The Underachievers ont de quoi étourdir Google Maps : bling-blings hindou et t-shirts Hare Krishna, ces natifs du quartier de Flatbush à Brooklyn lâchent des punchlines sur Haile Selassie, le troisième œil de Shiva et la paix universelle tout en évoquant volontiers leur adoration absolue pour les Fleet Foxes. Dans un New-York historiquement fait de thugs et de hustlers, le duo fait donc figure de hippies ayant poussé trop loin la prise de drogues mystiques.
Mais on est loin des clichés du babos apathique et auto-satisfait. Les flows sont ici des sulfateuses, découpant à toute allure le rythme en une flopée de rimes bien senties. Même complètement défoncés, AK et Issa Dash parviennent à garder cette aisance technique et cette vélocité toute new-yorkaise qui manque parfois aux rappeurs du pachidermique dirty South. On frôle presque la démonstration verbale tant ces flows débarqués des 90’s ne lèvent jamais le pied et filent à pleine vitesse sur l’autoroute narcotique des productions signées M.Bristol, Rich Flyer ou Tribe Gang. Sous peine d’y perdre son souffle, les 17 morceaux qui composent Indigoism doivent donc être ingérés progressivement et par petites doses.
« Herb Shuttles » et son beat halluciné balance dans le rouge les taux de THC. Entre cônes de weed et cônes d’encens, le morceau flotte sur un tapis de claviers fantomatiques douchés par des infra-basses colossales. Les flows s’enchaînent à la vitesse d’un relais 4×100 mètres boosté au cocktail Red Bull-MDMA et débouchent sur l’extatique « T.A.D.E.D », l’une des plus belles réussites de cette mixtape. Merveille de rap à l’ancienne, « The Mahdi » illumine l’album d’un instru qu’on croirait piquée à MF Doom tandis que « Gold Soul Theory » tangue sur une vague sonore parfaitement surfée par les inflexions vocales du duo.
Au risque de sombrer dans le name-dropping pour toxico, ces « trippy motherfuckers » viennent de réussir là où beaucoup d’autres se sont cassés le grillz. The Underachievers ont enfin conjugués rap et psychédélisme dans un grand freestyle ouvrant les chakras, les portes de la perception et les blisters à cachetons.