Chroniques

Top Albums 2012 #6 Cloud Nothings

Difficile d’avoir un peu de recul, alors que ci-gît la dépouille du Rock aux yeux de tous et qu’elle n’a jamais semblé aussi profitable (vous les voulez, hein vos coffrets « anniversaire » de fin d’année et vos compilations « événement » ?). Nos hommages au rock (1952-?), dont les majorettes connaissent aujourd’hui divers destins. Tout ceci, cette bile, ça vient d’une discussion que j’avais hier avec ma petite amie – à la base rien à voir avec Cloud Nothings, le rock, ni même avec vous d’ailleurs, mais ça, je vais y venir. Donc on causait, pour ce qui arrive je l’espère à chacun d’entre vous, lors de l’une de ces longues nuits d’insomnie conjointe où la seule activité sensée consiste à refaire le monde, d’essayer de percevoir ce qui merde vraiment dans cette sphère étrange sur laquelle on nous somme d’errer et à cette existence à laquelle on tente vaguement de donner un sens.

Entre deux amoureux nés à la fin des années 80 et à moitié comateux, ça donne ça, texto : « C’est un putain de conflit générationnel : pour les vieux, on n’a rien connu, nous sommes des assistés et des Bisounours. Nous, on leur reproche de n’avoir rien branlé, ces soixante-huitards foireux désormais à la tête des institutions, des grandes boites, et mêmes des petites ». Ou encore : « On nous laisse le choix de devenir de neo-yuppies, d’utiliser le meilleur de nous-mêmes pour faire du fric c’est bien mais bordel, qui veut vraiment de ça ? Et culturellement, il nous reste quoi, à quoi on se raccroche ? ». Plus de questions soulevées que de mystères élucidés. Ce qui relie tout ça, c’est un vrai ressentiment commun, quelque chose d’impalpable et de silencieux, de générationnel, même, je crois, couplé à une inaction tant choisie que subie.

Et là où on atteint un nouveau niveau d’incompréhension, quand un album comme Attack on Memory sort à la fin janvier, c’est que personne n’envisage ça comme un coup de pied dans la fourmilière. Pas qu’on s’attende encore à ce qu’un album vienne changer le monde ou apporter la lumière au « petite peuple », mais Attack on Memory est ce qui ressemble le plus, en 2012, à un album générationnel. Quand Dylan Baldi, 21 ans et leader du groupe, introduit le truc avec « No Future/No Past » et son anti-mélodie à la « The Colour and the Shape » des Foo Fighters, qui n’a aucune structure et met un temps fou à démarrer, on comprend que le petit groupe alt-punk gentillet de Cleveland n’est plus. L’installation de nouveaux membres dans ce qui était un projet solo et une tournée avec Fucked Up ont fait leur petit effet, tout comme Steve Albini, producteur ici aux manettes et qui fait du Steve Albini : voix et batteries tout devant, avec un maximum d’espace alloué aux guitares pour s’exprimer.

Que Baldi consacre neuf minutes à « Wasted Days », lui qui ne s’attardait rarement plus de trois minutes sur un morceaux, est tout sauf anodin. Il y tient à peu près ce langage, dans un climat très tendu et qui s’assombrit à mesure qu’il se dévoile : « Je sais que ma vie ne changera pas / Et je traverserai toujours ces journées perdues / Je n’ai jamais pensé que je finirais comme ça / Et je sais que je resterai le même ». La mantra, répétée une bonne vingtaine de fois à la fin du morceau, n’est pas chantée, elle est criée : « I thought I would be more than this ». Pas une seule pointe d’auto-dérision ni de haine de soi, pas un seul indice qui laisserait penser qu’il s’agit d’une rupture amoureuse : on est un cran au-dessus des épanchements d’un loser autoproclamé comme Nathan Williams, de Wavves, et assez loin de l’humour un peu désolé de Pavement. Cette analyse de Baldi est froide, viscérale, consumée.

Mais s’il se montre souvent cynique, derrière la couche de premier degré qui recouvre la majorité des chansons, on décèle un appel à l’aide, ou au moins à l’action. Et le chant de Baldi joue d’ailleurs un rôle déterminant dans notre perception de ces « appels » : plutôt désagréable de prime abord, cette voix montre d’étonnantes possibilités d’adaptation à la tonalité des morceaux. Quand, sur « Stay Useless », il dit « I need time to stay useless », on comprend bien, avec ce petit saute d’humeur dans le refrain, qu’il ne demande pas vraiment son avis à son interlocuteur, quel qu’il soit. Sur « Our Plans » sa voix transforme ce « No one knows our plans for us / We won’t last long » (ce qui peut grosso-merdo se traduire par : « Personne ne sait ce qu’on veut pour nous-mêmes / Nous ne durerons pas longtemps ») en : « mais putain, bougez-vous les gars ».

Et l’ironie de Attack On Memory, c’est qu’il s’agit d’un album de rock fait « à l’ancienne » : Cloud Nothings est le petit groupe qui, pour son troisième disque, décide de se frotter à un gros producteur. Et qui semble désormais paradoxalement sûr de son fait, quand cet album semble empreint des névroses de Baldi : l’idée très présente que les « anciens » ont tout fait (musicalement, cet album n’invente d’ailleurs pas grand-chose), le cynisme vis-à-vis des relations humaines. Et surtout, l’impression de ne jamais vraiment être maître de son destin.

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