Chroniques

Top Albums 2012 #8 Mac DeMarco

Le cool ça ne s’apprend pas dans les écoles, ni dans les pubs The Kooples. Cool, tu dis ? Les agences de création de contenu pourront bien demander à leurs stagiaires de leur pondre « une petite reco’ en 140 signes sur le cool de la semaine ? », ça risque de ne pas atteindre sa cible. Parce que le cool ne s’anticipe pas, et le truc n’est ni spécialement réservé aux jeunes à casquette, ni quelque chose qui vous ouvre en grand les portes du succès. Voici une petite leçon de cool appliquée au rock indépendant des vingt dernières années. Cool et blues, le jeune Beck dépouillé de l’album One Foot in the Grave. Cool et lo-fi, ce vieux dingue de Daniel Johnston qui gémit « Don’t want to be free of hope, and I’m at the end of my rope. It’s so tought just to be alive when I feel like the living dead » sur «  ». Cool et ironique, toute l’œuvre de David Berman et de ses Silver Jews.

Cette année, le seul disque à appartenir à cette baronnie et arborant un drôle de sourire dupe de rien, c’est celui qu’a écrit Mac DeMarco. Mac DeMarco est un Canadien de 22 ans, sorti de nulle-part. Il vit à Montréal. Comment le présenter de la façon la plus complète à la collectivité indie ? Disons que DeMarco est un type qui écrit principalement sur sa vie, les moments qui comptent et les passages ennuyeux. Sa voix est souvent blanche, presque absente. Ses guitares s’emballent puis se calfeutrent très vite. Son visage rigolard est celui d’un jeune Daniel Johnston. À l’arrivée, le garçon ressemble moins à l’image que l’on se fait d’un gagnant de la grande tombola hype qu’à celle d’un enfant des fast-food gras et des banlieues pavillonnaires où l’on s’emmerde sévère. Surtout, le Canadien a pour lui un sens de l’observation comme on n’en a pas repéré depuis longtemps. Dès l’introductif « Cooking Something Good », DeMarco chante  : « Mommy’s in the kitchen, cooking up something good. And daddy’s in sofa, pride of the neighbourhood » (« Maman dans la cuisine prépare quelque chose de bon. Et papa sur le canapé est la fierté du voisinage »). Le reste sera à l’avenant. 

Mélodiquement, vous entendez les Smiths mais en version raccommodée au scotch. Vocalement, vous pensez parfois que l’innocence de Jonathan Richman fait toujours école. Mais surtout, DeMarco est un homme du micro détail. Au vrai, ce type peut vous écrire un truc qui tient sur ses deux jambes autour de choses aussi peu romanesques que « contempler le temps qui s’échappe en position couchée ». Il arrive même que cet art de la récupération s’envole très haut comme dans « Ode to Viceroy », chanson entièrement dédiée à son amour de la clope. La plupart des morceaux ici présentés (il y en a 11 sur ce disque, et chacune vous saisit à un moment ou un autre) égrènent des images incongrues. Dans le rock de Mac DeMarco la vie passe lentement, toujours suspendue. À l’arrivée, ce disque peut faire le même effet qu’une nouvelle signée Raymond Carver ou un film réalisé par Todd Solondz. Bien malin celui qui pourra prédire ou en sera Mac DeMarco dans cinq ans : héros, loser, escroc ? Hype passagère qui fait sens chez les sentimentaux nostalgiques du rock indie 90s ? Pour l’instant, Mac DeMarco contemple la vie qui passe juste à bonne distance. Il fume ses Viceroy, sourit, comme ravi de voir défiler les heures devant lui. Heureux sont les singer-songwriters pas encore entièrement formés : d’une manière ou d’une autre, ce sont toujours eux qui récoltent les fruits du cool tout juste tombés de l’arbre.

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