Question : un album doit-il être agréable à écouter ? L’auditeur, celui qui se trouve de l’autre côté du casque ou du lecteur, est-il là pour suivre sans broncher les désirs de l’artiste ? Au-delà de son aspect désormais fascinant et de l’aura de son auteur, un OVNI tel que le Metal Machine Music de Lou Reed (on pourrait également prendre l’exemple de Lulu, l’album coécrit avec Metallica, à croire que Lou avait sporadiquement besoin de faire chier le monde) n’est-il pas tout simplement inaudible ? Même si l’on n’est pas au même niveau de torture de tympans et de feedback à profusion, la question se pose aussi, par moments, à l’écoute de ce cinquième album de Timber Timbre.
Autrefois mélancolique, Taylor Kirk, leader de Timber Timbre, se dévoile aujourd’hui angoissant. Carrément angoissant, même. Ses nouvelles chansons mettent volontiers mal à l’aise : ici le saxophone tordu de Colin Stetson sur « Resurrection Drive Part III », là le riff malsain de « Curtains! ». Creusant cette veine contemplative qui a fait sa renommée, et même, dans une certaine mesure, le carton populaire du single , Kirk met d’avantage l’accent sur ses peurs et ses douleurs, laissant parfois sur le bas côté l’auditeur. On a en fait l’impression d’écouter la bande-son d’une promenade de nuit en forêt, si bien que tout ici transpire un mal-être certain.
De temps à autres, la lumière semble entrer dans la pièce. C’est bref (« Grand Canyon », « Bring Me Simple Men »), et ce ne sont là que des instants de répit. Des pauses où la dissonance reprend ses droits et embellit le propos, plutôt que de l’alourdir. Alors là, et étonnamment, Timber Timbre se fend d‘un lyrisme et d’une grandeur qui nous manquent un peu dans le paysage actuel. Loin de nous l’idée de qualifier ce grand songwriter de tâcheron. Loin de nous l’idée de remettre en cause une carrière jonchée d’excellents disques. Kirk a toujours su travailler la mise en forme, mais derrière la production léchée, l’attitude, Hot Dreams manque de quelques branches pop auxquelles se raccrocher.
Lors d’une interview accordée au magazine Magic, le monsieur avouait son admiration pour Pink Floyd, et « Be My Baby » des Ronettes, qualifiant cette dernière de « plus belle chanson pop de tous les temps ». Il semblerait pourtant que quelque part entre le studio et le disque dont nous vous parlons aujourd’hui, Taylor Kirk ait opté pour un mysticisme un chouïa laborieux, fait de lamentations, bien loin de la beauté solaire et limpide des Ronettes. Alors, peut-on détester un album parce qu’il nous met mal à l’aise ? Ou bien doit-on succomber aux récriminations de ceux qui parlent de « risque » et de « mise à nu » ?