Sur la pochette de son premier album, Todd Terje se dépeint en pianiste jazzy de bar à cocktails, les joues rougies par les margaritas et les yeux dans le vague. Une stylisation rétro, colorée et nostalgique collant parfaitement à la démarche et l’esthétique du producteur, probable antidote musicale aux nuits polaires de sa Norvège natale. Son allure un peu fatiguée, il la doit peut-être à son rythme de vie effréné : ces deux dernières années, le petit génie de l’edit disco s’est produit aux quatre coins du globe et s’est même retrouvé aux manettes d’une partie du dernier Franz Ferdinand.
Sur le morceau d’ouverture au titre éponyme de ce It’s Album Time, on redécouvre la formule Terje, toutefois quelque peu assagie, au tempo plus lent. Son style, il le tient à un talent unique pour associer d’un côté des rythmiques à l’opposé du minimalisme répétitif, empruntant à une multitude de genres (bossa, samba, disco, hip hop), et de l’autre des entrelacements de nappes de synthés et d’arpégiateurs célestes. C’est simple, Todd Terje évoque plus une version sous MDMA de La Croisière s’Amuse que les tremblements de terre techno post-indus d’une backroom berlinoise.
Les deux titres suivant cette introduction se déroulent également à la cool, fonctionnant d’ailleurs en duo, comme une réponse à un autre couple de la fin (le duo « Swing Star »). Rien que le choix du nom de ces titres annonce bien la nature détendue de l’ensemble, avec cette « tenue casual de Preben » (« Leisure Suit Preben ») ou bien « Preben va à Acapulco » (« Preben Goes to Acapulco »). Todd Terje en profite pour étirer une BO lounge et exotique, réplique fantasmée d’une bande-son qui irait piocher entre Moriconne et Moroder pour un vieux film italien type giallo à moustache sous le soleil de la riviera.
Déboulent ensuite les chansons taillées pour rassasier l’auditeur venu pour des titres un peu plus énergiques : il y a d’abord « Svensk Sas », puis un « Strandbar » déjà bien rodé l’été dernier. Encore un duo, auquel on pourra rattacher plus tard le jazz electronica de « Alfonso Muskedunder », propulsant des airs lounge dans des sphères futuristes, spatiales ou tout simplement barrées comme ce standard bossa nova (« Svensk Sas ») déroulé à 300 à l’heure sur des vrombissements synthétiques. On retrouve dans ce jeu continu avec les clichés de la musique dite « d’ascenseur », fort en multi-couches de percussions et effets sonores kitsch, un ludisme enfantin et pour le moins jouissif que l’on pourrait rapprocher d’un autre producteur : l’allemand Siriusmo, son électronique sautillante se rapprochant de cette réappropriation, avec style, des codes de la « summer music ».
On revient ensuite à des sonorités plus rétro-futuristes avec ce « Delorean Dynamite » lancé à plein régime sur une autoroute Moroderienne relevée de quelques accents funky. Un lyrisme que l’on retrouvera en fin d’album sur « Oh Joy » et ses intonations prog rock sur fond de congas. S’ensuit la pause rêveuse et mélancolique de mi-album avec une reprise vaporeuse de « Johnny & Mary », classique de Robert Palmer, transformé en une ballade nostalgique partant de plus en plus dans l’espace au fil des minutes. Brian Ferry, le crooner de Roxy Music, y chante comme s’il était le pianiste triste de la pochette : seul, accompagné de ses souvenirs et d’un cocktail.
Plus tard, en clôture, on retrouvera « Inspector Norse », sommet de l’artiste qui obtient pour de bon son ticket au Club de la Sainte Trinité de la Disco Norvégienne (avec Prins Thomas et Hans-Peter Lindstrøm) pour une redéfinition cosmique d’un style que Todd Terje trouvait « un peu débile » avant sa découverte du « » du pionnier du genre, Bjørn Torske. Aujourd’hui, il profite de ce cadre désuet, aux limites du kitsch, pour tout simplement repenser la musique dansante et un hédonisme trop cruellement absent de la musique électronique introspective.
Ce premier album a donc une géographie ambitieuse, plaçant son hit en bout de file après une série de phases à la dynamique interrompue en milieu de parcours. Todd Terje y perdra peut-être certains de ses auditeurs. Mais bon, les autres auront largement de quoi se contenter côté musique faussement bubblegum pour dance-floors sous crème solaire. Mais surtout : dénué de l’esbrouffe multi-featuring d’un certain duo robotique, le norvégien livre un autre type de « Random Access Memories » peut-être plus habité, car moins masqué, et dont le goût pour l’exotisme sonne comme un appel à s’ouvrir plus largement sur le monde.