Chroniques

Thee Oh Sees Drop

Lorsque Floating Coffin sortait il y a un an, on tablait, sans trop se mouiller au vu de la réputation du groupe, sur la sortie d’un nouvel album d’ici la fin de l’année. Hormis une compilation sortie en novembre dernier (The Singles Collection Volume 3) c’est une nouvelle d’une toute autre nature qui nous était tombée dessus : en décembre, lors d’un concert à San Francisco, John Dwyer annonce que « ce sera le dernier concert de Thee Oh Sees avant un moment ». Quelques heures après, l’agent du groupe confirme un « indefinite hiatus » qu’elle justifie par le déménagement de certains membres du groupe (Dwyer a quitté San Francisco pour Los Angeles) et par un besoin de repos après un paquet d’années de punk non-stop. Tout le petit monde du garage s’émeut de la nouvelle : les Oh Sees concluaient l’une des plus belles années de leur carrière en se séparant pour une durée indéterminée. Si Floating Coffin et la tournée du feu de dieu qui a suivi a offert au groupe la reconnaissance qu’il méritait, c’est plus généralement la scène de Frisco qui a pris une nouvelle dimension cette année-là, et qui a démontré qu’elle n’était pas qu’une constellation de branleurs bons qu’à grattouiller dans un garage et à avaler des bières au skate park. À la tête de Castle Face Records, l’un des labels les plus en vues de la baie de San Francisco, John Dwyer a été l’un des grands artisans de cette reconnaissance, lui qui a notamment déniché Ty Segall alors qu’il était batteur dans un groupe de surf-rock. Pas étonnant, en fin de compte, que cette nouvelle d’une mise au placard de Thee Oh Sees avait constitué un choc pour certains.

Cela dit, John Dwyer a rapidement clarifié la situation : il s’agit bien d’une simple pause et, mieux encore, un album est prévu pour le courant de l’année 2014. Dwyer n’a d’ailleurs pas tellement eu le temps de s’ennuyer, avec la sortie d’un enchevêtrement de bidouillages électroniques façon krautrock (son premier album solo, sorti sous le nom de ) et la reformation de l’un de ses groupes de jeunesse, les bourrins brouillons de (dont une date est prévue à la Villette Sonique ). Quoi qu’il en soit, au vu de la qualité de Drop, enregistré l’année dernière dans une serre à banane, on se demande bien comment on aurait pu se remettre de la séparation d’un groupe aussi créatif et imprévisible.

À l’inverse de Ty Segall, qui peut sortir en l’espace de quelques mois un album de folk et un autre de rock heavy dans la lignée des pointures de chaque genre, Thee Oh Sees boxent toujours dans la même catégorie. Leur carrière a connu une évolution progressive, partant d’un garage lo-fi pour lorgner de plus en plus vers le rock psyché tendance heavy. Fait notable cependant : là où Dwyer et compagnie péchaient parfois sur certains de leurs morceaux les plus psychédéliques, on ne s’ennuie pas à un seul moment sur Drop.

Sur « Encrypted Bounce », « Savage Victory » ou encore « Camera (Queer Sound) » et son refrain étonnamment pop, on retrouve ce même schéma que sur des titres comme « No Spell » : des envolées de guitares improbables avant que la voix lancinante et malsaine de Dwyer ne vienne calmer le jeu sur fond de basse hypnotique et aérienne. Sur « Put Some Reverb On My Brother » et « King’s Nose », la voix de Dwyer se fait plus instable, faisant le pont entre le caractère heavy qui caractérise Thee Oh Sees actuellement et leurs anciennes amours lo-fi. Mais là où le groupe est définitivement le plus fort, ce sont sur ces brûlots heavy que sont « Penetrating Eye » et ce riff de guitare sorti de nulle part, outrancièrement chargé de fuzz, ou encore «  » et sa mélodie pop à la King Tuff. « Transparent World » est le seul titre dispensable de l’album : quelques bonnes idées mais des expérimentations qui partent dans tous les sens et nous perdent rapidement.

Les Thee Oh Sees se paient même le luxe de clôturer l’un de leurs meilleurs albums à ce jour par sa meilleure chanson : «  », ses violoncelles, ses percussions discrètes et surtout, la voix de John Dwyer qui prouve qu’il n’est pas qu’un ado de 40 ans qui se ballade toujours en short : il est aussi capable de très jolies choses. 

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