En un peu plus d’un an, avec des titres comme « », « » ou « », SOHN a laissé paraître un certain style et un sens aigu du songwriting. Avec ce premier album, Christopher Taylor (son petit nom à la ville) va plus loin encore en donnant un supplément d’âme à ses machines, ainsi qu’une cohésion totale dans le choix des pistes retenues. SOHN débarque fin 2012, en toute discrétion. Pitchfork et The Fader (entre autres) se chargent assez vite de faire connaître son travail. Un passage au festival SXSW et quelques remixes plus tard, dont le single « » de Lana Del Rey, et c’est 4AD (label de Bon Iver et The National) qui lui met le grappin dessus. Soutenu par Lorde et Miguel notamment, ce londonien basé à Vienne (en Autriche) réussit à transformer de premières tentatives discrètes en pop songs électroniques.
C’est l’aspect cristallin de la voix de Christopher Taylor, que l’on vante copieusement chez 4AD, qui frappe en premier. Il lui faut d’ailleurs moins d’une minute pour montrer ce qu’il a dans le coffre : c’est avec une aisance folle que SOHN se lâche sur « Tempest », morceau qui ouvre le disque. La pureté de ses ascensions vocales, qu’on retrouve un peu partout sur l’album, en fait l’une des plus belles voix du moment. Le premier refrain de Tremors, « Oh love, I got lost along the way you set for me », s’imprime à l’infini. Et tout s’enchaîne en douceur, parce que SOHN favorise les tempos lents, par amour des ambiances.
Comme il l’a expliqué, Taylor s’est clairement laissé influencer par les décors naturels qu’offrent l’Autriche. Mais en plus de la géographie contrastée qui l’entourait, SOHN a aussi avoué qu’il n’avait travaillé que de nuit. Pour ne pas se laisser corrompre par l’environnement diurne. Soit. Et c’est en rentrant chez lui chaque matin, lorsque l’aurore glaciale le saisissait, qu’il s’est décidé quant à la direction que prendrait ce premier effort. En résulte une production claire obscure, où tous les éléments se dévoilent patiemment (en témoignent, par exemple, les arpèges guitares sur « Ransom Notes » ou le beat d’intro sur « Veto »). Le moindre effet est ainsi mesuré. En évitant d’empiler systématiquement les couches de synthés, ou en n’exagérant pas la dureté des beats, SOHN ménage sa monture et permet à l’auditeur de parcourir les no man’s land qu’il dessine. Le choix de ce minimalisme ambiant permet d’aérer l’album. Les décisions prises concourent à transformer certaines de ses chansons, « » et « Lights » notamment (sur lesquelles SOHN ne conserve que l’essence même de ses mélodies), en potentiels tubes. Efficacité garantie.
Tout au long de Tremors, SOHN se montre aussi impénétrable, que capable de se foutre à poil en un instant. Et c’est là que le bât blesse. Pas facile de savoir si Taylor est du genre à s’enfoncer une lame sous les ongles, par pur sadisme, ou s’il est aussi sincère qu’il n’y paraît. La sensibilité dont il fait preuve dans son interprétation est clairement déroutante. SOHN brouille les pistes et ne semble laisser que peu d’explications possibles dans la lecture de ses textes. Inutile d’essayer de lire entre les lignes, tout est déballé sans pudeur. N’empêche que des thèmes plus larges que les plaies du bonhomme, comme l’isolement (« Ransom Notes »), l’abandon (« Paralysed ») ou l’amour, avec un grand A, (« Tempest ») en ressortent. Entre le rôle d’écorché vif de service ou un réel besoin de s’étendre sur une souffrance pointée du doigt, difficile de trancher.
Enfin, s’il fallait situer SOHN sur la carte de la pop internationale, on le coincerait probablement entre les américains Autre Ne Veut, How To Dress Well et Perfume Genius, et que son compatriote James Blake. Avant de se rendre compte qu’il n’y a pas sa place. Parce que moins barré qu’un Arthur Ashin des grands soirs, moins mielleux que ne l’est Tom Krell sur Total Loss, plus mesuré encore que James Blake (oui, c’est possible), mais pas moins fragile que Mike Hadreas. Preuve qu’en 2014, les mecs sensibles existent encore.