Repéré dès son premier LP éponyme en 2010, The Soft Moon est une entité un peu à part dans le rock indépendant. Ses rythmes caverneux, ses guitares angoissantes et son chant ténébreux le feraient presque passer pour un énième avatar du revival cold-wave ayant émergé ces dernières années. Sauf que non : « I don’t care what you say, living life my own way ». Prononcés sur « Black », ces mots pourraient permettre à eux seuls de comprendre l’état d’esprit de Deeper, décrit comme introspectif et élaboré à la suite de la tournée Zeros dans les studios Hate à Venise.
Mieux vaut malgré tout ne pas se fier à cette première impression et au titre de l’album, tant ce troisième long format s’avère moins suicidaire qu’on ne pourrait le penser. A dire vrai, c’est même le plus mélodique : malgré des musiques totalement sommaires et répétitives, The Soft Moon arrive à créer de véritables mélodies, psychédéliques et percutantes, orchestrant ainsi avec brio la violence sourde des paroles, comme sur « Far » où Luis Vasquez et sa bande exorcisent leurs maux : « Take me far away, To escape myself, I was born to suffer, It kills my mind, It kills me inside ». De là à considérer Deeper comme un album « accessible », il n’y a qu’un pas que l’on se gardera de franchir. Et c’est même les lacets noués que l’on peut affirmer que les rythmiques amérindiennes de la chanson-titre, que les intentions indus de « Being » et « Wrong », que les tourbillons de beats hypnotiques de « Desertion » ou que le chant lancinant de « Without » composent un album souvent infecté et malsain, parfois indocile et schizophrène. On y trouve toutefois deux petits tubes évidents, « Feel » et « Wasting », qui, sans pose excessive mais avec beaucoup de nerf et de sales intentions, risquent de coller aux oreilles pendant quelques années.
Difficile dès lors de ne pas penser au Bauhaus, à Throbbing Gristle et, de manière plus contemporaine, à Suuns avec qui le trio de San Francisco semble partager le même goût pour la techno noire, le rock cérébral et le kraut géométrique. Ainsi, bien que les cadres restent fidèles à l’univers façonné sur The Soft Moon et Zéros, l’on sent une fois encore le potentiel de recherche : celui d’un groupe qui innove dans la continuité et qui ajoute une sacrée dose de toupet mélodique à ses (excellentes) compositions.