Même si tout album n’est pas à juger sous le prisme de son degré d’innovation, son aspect potentiellement « révolutionnaire » (à ce sujet, voici au sujet d’un livre très intéressant), et que Skip & Die n’invente foncièrement pas grand chose, Riots In The Jungle se démarque déjà par ceci : dans la forme comme dans le fond, peu d’albums s’affranchissent d’autant de règles qui régissent la pop music occidentale. Comment enregistrer un album ? Avec quoi ? Avec qui ? Pourquoi ? Tout un tas d’interrogations qui trouvent des réponses inhabituelles lorsqu’on se penche sur « l’histoire » de Skip & Die et la conception de ce premier disque.
Tout d’abord, Skip & Die n’est pas vraiment un groupe, ni un collectif, c’est un « projet » né de la rencontre entre l’artiste sud-africaine Cata.Pirata (Catarina Aimée Dahms) et le producteur néerlandais Jori Collignon. Le communiqué de presse raconte que « Riots in the Jungle a été écrit par Cata.Pirata et Jori lors d’un voyage à travers Soweto, Johannesburg, Cape Town et Gugulethu », et nous n’avons aucune raison de ne pas y croire. Un projet, donc, ou plutôt un voyage auquel sont venus se greffer tout un tas d’artistes sudaf : cinq morceaux sur douze ont été enregistrés en featuring avec d’autres musiciens, et pour le coup Cata.Pirata et Jori Collignon semblent s’adapter à leur univers plus qu’ils ne s’efforcent à les intégrer au leur. Riots in the Jungle, le voyage, nous est présenté sous la forme d’un album.
À la question de , « Vous posez des discours protestataires sur des genres musicaux souvent nés dans des lieux frappés par la pauvreté. Cette cohérence fond/forme était consciente pendant l’enregistrement ? », Cata.Pirata répond : « C’était plutôt une espèce de tour de magie, un accord mystérieux entre nos idées philosophiques et nos goûts spontanés, que l’on ne remarque que maintenant. Mais on peut voir cela comme un enchaînement circulaire : par une pensée célébrant l’hybridité et le nomadisme culturel, on s’est peut-être libéré de nouvelles manières de percevoir, sur tous les plans – sociaux, politiques, créatifs ».
Nomadisme et hybridité, donc : on ne sait pas bien ce qui se passe, les titres sont provoc, comme « Love Jihad » (un dub où Cata.Pirata la joue gangsta girl dans un bégaiement plus excitant encore que celui de Rogert Daltrey sur « My Generation »), « Macacos Sujos » (« sales singes », en portugais) ou « Anti-Capitalista », mais les morceaux n’agissent pas comme des tracts de S.O.S. Racisme : si l’album vous laisse libre de vous imprégner des paroles, d’un « message », vous n’avez ici d’autre choix que de faire la fête, un élément indissociable de cet album. Les morceaux ressemblent à des collages politiques, poétiques, bordéliques et avant tout festifs, rythmés, avec une référence à M.I.A pour le côté dense mais instantanément familier. La production est un cross-over permanent, entre les mélanges d’electro shangaan, de reggaeton, de house, et les enregistrements effectués dans la rue, les sons s’activent toujours au service de l’orgie qui bat son plein tout le long de l’album.
D’un côté, les titres sont chantés en plusieurs langues (en anglais, en portugais, en afrikaans, en espagnol et d’autres idiomes non reconnus par nos chastes oreilles), on passe d’un morceau que n’aurait pas renié M.I.A (« Jungle Riot ») à gros renfort de cithares et de percussions indiennes, à quelques séquences d’un rap très lourd en afrikaans et en anglais (« Lihlwempu Lomlungu ») jusqu’à une sorte de reggaeton-dub-house (« La Cumbia Dictatura », la dictature de la cumbia, une danse colombienne). Mais de l’autre, Cata, Jori et leurs acolytes ne tombent dans aucune forme de cliché world ou folklorique, et malgré la diversité des sons, des structures, des langues utilisées, Riots in the Jungle devient un jeu, une expérience à part entière et non une sorte de « Musique indienne/reggaeton/sud-africaine pour les nuls ». Skip & Die ne vous prend pas de haut, ne dit jamais pardon : ce projet/duo/voyage/collectif mouvant vous prend de front et vous embarque. Toute l’esthétique du groupe est très colorée, des clips, à la pochette en passant par le look de freak de Cata et ses tempes rasées. Le trip est aussi visuel, et l’un dans l’autre, Riots in the Jungle sent bon les drogues récréatives avec des smileys dessus.