Qu’il est à plaindre le bougre de musicien ! Qu’il est à pleurer le pauvre chanteur/compositeur qui s’aventurerait aujourd’hui dans les territoires fermés de l’afro-pop devenue hipster ! Qu’il est fou, l’homme -ou la femme, noir(e), qui oserait tenter sa chance dans ce monde répugnant, teinté de néo-colonialisme musical, et dominé depuis plusieurs années par une bande de fils à papa blancs ! Quelle place reste t-il alors, à un Sinkane, alors que depuis 2008, les Vampire Weekend, Fool’s Gold et compagnie, épuisent les festivals et l’espace médiatique de leur pop parsemée de sonorités africaines en rythmique tribales et guitares exotiques ? Comment faire oublier les « » et « » tant martelés qu’ils sont à jamais imprimés dans les esprits, jusqu’au dégoût ?
Rien n’est évident pour Sinkane. Ahmed Gallab, son vrai nom, reste un anonyme. Sa performance tout à fait correcte aux Transmusicales de Rennes en décembre dernier n’a pas transcendé les foules. On se souvient à peine de ses collaborations -pourtant brillantes, avec Caribou ou Yeasayer. L’américain d’origine soudanaise en est encore là, à vivre dans l’ombre, sans arriver à exister et faire exister sa musique. En tout cas jusqu’à la sortie de cet album, Mars.
Avec Mars, on a enfin une vraie matière pour juger du potentiel de Sinkane. Le single, « Runnin’ » avait donné un court aperçu. On avait pu juger que les fondamentaux de son afro pop sont bien présents et bien maîtrisés. Sur ce morceau, Gallab laissait également présager qu’il avait de quoi dépasser la platitude technique des Vampire Weekend et Fool’s Gold, avec son jeu de guitare sauvage, instinctif. +1 pour Sinkane.
Pour le reste, le verdict est un peu plus mitigé. Sur « Jeeper Creeper » par exemple, il y a son goût pour les transes tribales servies par des nappes de guitares psychédéliques et une ligne de basse au groove africain, qui apporte non seulement une belle plus-value mais ajoute surtout une pointe d’originalité à un genre qui, depuis le début, tourne clairement en rond. Personne ne peut dire le contraire : un album d’afro-pop, c’est comme un album de Motörhead. +2 pour Sinkane.
Là où l’ensemble commence à sombrer, c’est quand ce brave Ahmed, dans ce qui ressemble à une tentative assez courageuse mais risquée, trouve judicieux d’essayer de porter le genre vers une sorte d’afro-pop futuriste, en chantant avec de l’auto-tune. Sur « Lady C’Mon » ou « Making Time », Sinkane s’approche des pires moments artistiques d’un Kanye West en polluant ses musiques de voix robotiques débiles et ringardes. Et puis d’un coup, après 20 minutes d’africanismes pop, arrive « Mars », ovni free-jazz à la flûte traversière -instrument qu’on retrouve également sur le dernier morceau « Caparundi », qui certes est somme toute de bonne facture, mais ne sert ni d’intermède, ni n’apporte une cohérence à l’ensemble de l’album. Une bizarrerie, en clair. -3 pour Sinkane.
Au final, la qualité de l’album explique peut-être bien des choses. Il y a probablement un potentiel encore inexploité chez Sinkane, mais il risque de ne pas avoir le temps de l’exploiter. S’il n’arrive pas à sortir du lot dès aujourd’hui avec Mars, à montrer que le genre peut être renouvelé, qu’il possède une patte bien à lui, il risque fort de se faire balayer bien tristement par le mastodonte Vampire Weekend, dont le prochain album devrait sortir en mai.