Chroniques

Sébastien Tellier Confection

Tellier avait fini par s’essouffler. À force de trop tirer dans la caricature du personnage loufoque poussé à l’extrême, le barbu a finalement réussi à se fatiguer à la tâche, et à nous fatiguer par la même occasion. Car s’il a érigé en principe fondateur de son art, le fait, pour le moins audacieux, de se réinventer un être singulier à chaque album, il faut dire que son gourou new age déglingué, encarté à l’Amicale des bouffeurs de biscuits psychédéliques et disco, avec passages à la télévision ivre à souhait, a été, de loin, sa moins bonne création. Ou tout du moins, un personnage dans un excès futile et inutile, sans véritable saveur ni intérêt, si ce n’est de faire rire le clown Tellier, au nez rouge de pif et aux lunettes bleu pépito, de ses propres malheurs.

On pourrait dire de Sébastien Tellier qu’il est un artiste singulier car, contrairement à la majorité, il ne sort que des albums-concepts. Il y a eu la thématique politique (Politics) bien qu’il n’y connaisse rien -il le reconnaît lui même. Une autre sur la sexualité (Sexuality) alors que le dandy velu a autant de sex appeal qu’un munster faisandé, puis vint enfin cet album sur Dieu (My God Is Blue) alors qu’il a pour coutume de dire qu’il ne croit en rien, si ce n’est au pouvoir de la musique, à l’amour, et à sa capacité à semer le doute quand vient le temps de qualifier son travail : celui d’un génie ou d’un imposteur.

La très réussie bande originale de Narco, ainsi que celle coréalisée avec Mr. Oizo et SebastiAn pour le film Steak mises à part, il arrive que de temps en temps, il se laisse happer par l’appel conformiste des albums dits « classiques ». Et encore… Le « classique » selon Tellier consiste à produire un album sans personnage, sans déguisements, sans concept mensonger, sans folie outrancière. Pour autant, on y trouve rarement des chansons avec couplets/refrains, des mélodies ou même des voix. C’était le cas sur L’incroyable vérité, son prometteur premier album où l’on retrouvait un semblant d’univers cinématographique avec en majorité des instrumentaux magnifiques (« Fin chien », « Oh malheur chez O’Malley ») et seulement quelques chansons chantées timidement (« Universe », « Kissed By You »). C’est à nouveau le cas sur Confection. Et encore…

Tellier parle de Confection comme d’un side project, l’album censé permettre de faire une pause entre des phases de composition et de tournées intenses. Mouais. Dans un sens, il est vrai que cet album, pour autant qu’on puisse le qualifier de la sorte, n’a pas été forcément très fatiguant à élaborer dans la mesure où la majorité des morceaux sont des chutes de studio ou des fonds de tiroirs. Certaines musiques ont été composées pour des films (dont Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde, avec Peter Doherty et Charlottre Gainsbourg) mais n’ont pas été retenues. D’autres, ont été composées pour des films sans pour autant avoir été proposées. Et puis, il y a « L’amour naissant », magnifique chanson chantée en français et en anglais (assez rare pour Tellier qui préfère habituellement le yaourt anglais) et dont le thème varie sur deux autres instrumentaux. Pour clouer le bec au mauvaises langues qui éructent sur la forte ressemblance de la chanson avec son chef d’oeuvre, « La ritournelle », en pointant les similitudes rythmiques, il faut avant tout reconnaître que le choix de faire jouer Tony Allen, batteur mythique de Fela Kuti, sur Politics comme sur Confection, ne permettait pas une grande originalité puisque le nigerian ressort quasiment le même rythme afrobeat à chaque fois qu’il est convié en studio, peu importe l’artiste, et ce depuis qu’il l’a inventé dans les années 70.

Moins fort que L’incroyable vérité, Confection n’est pas non plus dépourvu de jolies compositions dites « cinématographiques ». On retrouve là tout le savoir-faire de Tellier, toute sa formation musicale. Lui qui a appris le piano à l’aide de musiques de films, le romantisme avec Michel Legrand, les émotions dans le mouvement avec Ennio Morricone et la liberté de composition et un brin de folie avec François de Roubaix, le voilà à leur place, à enregistrer avec un orchestre philharmonique. Un vrai travail de compositeur sérieux. On croirait même entendre du Morricone quand il fait appel à une cantatrice pour clamer son « Adieu », ou De Roubaix et Colombier quand il fait résonner les cordes acoustiques d’une guitare sur « Delta Romantica ».

Malgré tout, le principal défaut de ces quatorze morceaux, et de bon nombre d’albums qui sortent ces derniers temps, supposées être des « bandes originales de films qui n’existent pas », c’est justement de ne pas avoir de films auxquels les rattacher, les connecter émotionnellement. Car la force d’une bande originale, c’est d’avoir une composition intelligente qui parvient à créer des moments de tensions entre les images, l’histoire et la musique. C’est ce qui fait qu’un film devient plus qu’un film et qu’il tient une place à part dans notre mémoire. Sans Ennio Morricone, (Yves Montand) à la fin de I… comme Icare n’aurait pas eu la même force cinématographique et le même impact émotionnel. Sans Ennio Morricone, encore lui, le Far West n’aurait pas eu la même identité musicale et la n’aurait jamais eu autant de classe. Et dans le pire des cas, comme quand le film n’est pas forcément jouissif, une d’un Michel Colombier pour le film L’Alpagueur par exemple, donne une bonne raison de s’en souvenir. Sur Confection, le potentiel cinématographique est présent, les compositions sont assez travaillées et confectionnées sur des variations de thèmes. Tout est là. Il ne manque que le film.

Le cinéma a la possibilité de pouvoir jouir du talent de véritables compositeurs français de musiques de films, comme à la grande époque, avant qu’ils ne partent tous aux Etats-Unis. Sébastien Tellier, Kavinsky, Alden Volney et Daroc, pour ne citer qu’eux, ont assez de talent et de cojones pour faire oublier la jurisprudence Tarantino, qui a réussi à faire croire qu’une bonne bande originale n’est qu’une compilation rétro. Il faut donc voir ce disque pour ce qu’il est, au-delà des morceaux. Si ce n’est pas un album-concept, ni un véritable album, ce disque -et l’œuvre de Tellier en général, est au moins un appel du pied aux futures générations d’auteurs et réalisateurs du cinéma français.

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