Chroniques

Rita Ora Ora

Difficile de faire plus 2012 que ce premier album de Rita Ora, et ce pour tout un tas de raisons : il ressemble plus à une collection de singles qu’à un ensemble cohérent, les producteurs « du moment » s’y bousculent plus ou moins ostensiblement (entre autres Drake, J. Cole, will.i.am, Tinie Tempah, Diplo), certains morceaux flairent bon le « self-empowerment » (du genre « qui que tu sois, tu es magnifique, tu peux accrocher les étoiles ») et, last but not least, il se raconte qu’Ora aurait mis près de deux ans à se faire (on parle même de très sérieuses « études de marché » et de « positionnement »).

Vous êtes toujours là ? Attendez un peu. Entre la caution « j’ai été repérée et signée par Jay Z », son histoire personnelle taillée pour les amateurs de storytelling (ses parents sont des réfugiés kosovars qui ont quitté le pays pour l’Angleterre l’année de sa naissance, en 1990) et le positionnement (sur les singles tout du moins) à mi-chemin entre la condescendance divine d’une Rihanna et le côté girl next door un peu fofolle de Katy Perry, Rita Ora ne correspond pas vraiment à la définition la plus noble de « l’artiste » (pour tout vous dire, le plus pénible reste la scansion automatique du titre de chaque chanson. On sait jamais, tout morceau est susceptible de devenir un single). Sur Ora, tout semble calculé : pas de place pour l’accident.

Une série de trois singles placés en tête des charts en Angleterre, ça vous met tout de suite la pression. Et pourtant, avec la minute trente de « Facemelt », r&b vénère à la Azealia Banks (Diplo est aux manettes) au flow nerveux, Rita ouvre l’album sur un contre-pied. Impression à moitié confirmée par « Roc’ The Life », où le tempo est plus lent (on pense beaucoup à Beyoncé), le chant plus reposé mais toujours aussi cinglant. Mais là où la mécanique commence à couiner, alors que l’ambiance est à peine posée, c’est quand « How We Do (Party) » démarre. Ce superhit, numéro un en Angleterre et copie à peine déguisée du « Friday Night » de Katy Perry, casse le château de cartes teigneux qu’elle construisait jusqu’alors : ça parle du « weekend », elle veut « party and bullshit », c’est feelgood jusqu’à la moelle avec un refrain annoncé en grandes pompes par toutes sortes d’effets de manche.

Comme pour « Roc’ The Life », sur « R.I.P. » (avec Tinie Tempah en  featuring), Rita enfile son costume de Rihanna. Superbe chanson, ce « R.I.P. » (écrit par Drake, justement écrit à l’origine pour Rihanna), dans la catégorie « hit fin de soirée », avec une performance vocale aussi captivante que celle de Riri sur « We Found Love ». Si elle était relativement intouchable jusqu’ici, la Rihanna, Rita montre avec ce morceau (qui a également été numéro un en Angleterre) qu’elle est bien là pour lui ravir sa couronne. Dont quelques tentatives grossières, notamment le refrain de « Shine Ya Light », qui à peine pompé sur le « Umbrella » de Rihanna (on a même droit à des « ella, ella, ella », si, si).

Si globalement l’album est très référencé (et même s’il est difficile de faire autrement dans la pop/r&b calibrée pour les charts), Ora lance quelques pistes qui auraient mérité d’être explorées. Comme sur la house codéinée de « Radioactive », morceau dance admirablement produit mais gâché par un refrain brouillon et simili-épique. Ou « Love And War », en featuring avec J. Cole, qui raconte une histoire d’amour qui tourne en eau de boudin : production minimaliste, refrain catégorique. Sans oublier « Uneasy », mélange entre les Runaways (les couplets) et une sorte de Craig David girly (le refrain). Semi-tentative rock 100% foireuse mais récréative. Son truc à elle, Rita, c’est cette soul incroyable dans la voix, qu’elle peut convertir en dynamite en l’espace d’une seconde. Comme sur le très léger « Hello, Hi, Goodbye », l’un des grands moments de ce disque, sur lequel elle semble faire ses vocalises dans un seul et même murmure tout du long de la chanson. Et que dire de « Crazy Girl » et ses douze beats distincts, si ce n’est que ce morceau est tout bonnement démentiel pour quiconque ambitionne de bouger son popotin sur des mélodies implacables. C’est aussi la seule de ses chansons qui semble ne rien devoir aux rivales de Rita (« prepare for a little drama », entend-on. Ça c’est de la promesse). Autre grand moment inexplicablement relégué à la fin de l’album : « Young, Single & Sexy ». Là, c’est Beyoncé qui est invoquée (c’est d’ailleurs à s’y méprendre dans la voix).

Dans l’univers tendax de la pop grand public, un premier album sert généralement à installer (grâce à quelques tours de passe-passe et sans véritable besoin d’être honnête) une personnalité. Rita Ora a les morceaux, la gueule, les connexions, mais peine à efficacement laisser une empreinte. Mais quand Rihanna a toujours du mal à dépasser ce petit côté « je-chante-mais-j’en-ai-rien-à-foutre » légèrement condescendant, quand Beyoncé vous fait certes croire à une histoire mieux que personne mais qu’elle n’a que cette corde à son arc, quand Katy Perry va se planter tout bientôt, c’est sûr, Rita Ora, sur ce très inégal premier album, révèle quelque chose que les autres n’ont pas : la jeune diva sait aussi bien allumer le feu que le préserver sur la longueur. 

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