Chroniques

Rihanna Unapologetic

Ceci ne doit pas être un hasard. Unapologetic sort au moment où le « 777 Tour » (parce que c’est son septième album et que l’avion en question, c’est un 777, capisce ?) de Rihanna bat son plein et que des tournent à plein régime sur YouTube : on se dit que le timing a été parfaitement calculé par la dame et son entourage. Rihanna est l’une des plus grosses machines à fric du music-business -11 singles en tête des charts, et celle qui inonde le marché avec un album par an. Sérieusement, sept albums à seulement vingt-quatre ans ?

Dans la construction globale de Unapologetic, la stratégie qui le sous-tend, on est dans du Rihanna pur sucre. la plupart des grandes chansons de Rihanna, ou les plus marquantes, tiennent sur des petits riens jamais innocents. Le « ella, ella » de « Umbrella », le « nanana common » répété à l’infini de « S&M », un titre que tout le monde a entendu mais dont personne ne connaît la signification (« Pon De Replay »), un flou artistique volontaire sur sa mantra « We Found Love » (« We found love in a hopeless place »). Et c’est pareil sur ce nouvel album. Des formulations bizarres (« Phresh Out the Runway », « Loveeeeee Song »), la compression de « Pour It Up » dans un onomatopée (« Poéda poéda »?) dans la chanson du même nom, sans oublier l’incohérence-si-grosse-que-obligé-c’est-fait-exprès de « Diamonds » : « Like diamonds in the sky » (coucou la métaphore cucul).

Dans la construction des chansons, en revanche, le tout est assez étrange. Si les « messages » courts et punchy qui ressemblent à des slogans publicitaires sont toujours très simples, épurés, elle semble flirter avec ses morceaux sans jamais aller au bout. Et c’est exactement l’impression que ça laisse, derrière le casque. En fait, on a presque affaire à du concept-Rihanna (autant dire que ce n’est pas vraiment ce qu’on vient chercher) comme si elle voulait tuer dans l’œuf le potentiel tubesque d’une bonne partie des morceaux pour laisser intentionnellement tout son petit monde sur sa faim.

Sur « Numb », elle donne l’impression de flotter sur le groove reggae du morceau et d’attendre Eminem qui intervient presque trop tard. C’est tout aussi vrai sur « What Now », ou la Team Riri n’a pas pu choisir son camp entre balade nostalgique au piano et hymne club (et qu’est-ce que c’est mal mixé, bon Dieu). Le résultat est tout aussi brouillon que « Right Now », vague essai à la « We Found Love », sans la ligne claire et avec David Guetta aux manettes. « Love Without Tragedy – Mother Mary », construit sur un sample de « Message in a Bottle » de The Police, quelques effets électroniques, puis un gimmick à la guitare, un beat simplissime, est une espèce de confession qui détonne dans cet album : ce morceau de sept minutes est de toute beauté, toutes les notes, les effets de manche, sont justes à leur place. Rihanna, au contraire du reste de l’album, ne se laisse jamais dépasser par le concept de la chanson.

D’un côté, elle en fait des caisses sur les morceaux qui mériteraient plus de retenue et de l’autre, les chansons à plus fort potentiel ne sont jamais exploitées jusqu’au bout : « Stay » aurait pu être la balade fille/garçon de l’année mais elle ne décolle pas et ne montre rien, « Diamonds » est, encore une fois, vraiment trop teubé pour que quiconque doté d’un QI à deux chiffres puisse faire abstraction du sous-texte. Manque les hits, les morceaux plus ou moins ouvertement axés cul ou bad-girl (si on met de côté « Jump » où elle lance un « If you want it / Let’s do it / Ride it / My pony »).

Et si RiRi trouve le temps de faire la fête en ce moment-même, son septième bébé n’est pas vraiment du genre souriant. Le ton est assez lourd, pas du tout propice à la fête, sauf peut-être sur « Right Now ». Encore que : avant que Guetta ne lance son gimmick dance du jour en « refrain », elle lance un « All we have is right now ». Une manière de dire : faites la fête car il n’y a que ça à faire et rien à célébrer. Toutes les pistes sont brouillées, comme sur le « vrai » événement de cet album, le duo malsain en mode syndrome de Stockholm avec Chris Brown, « Nobody’s Business ». En gros, on a un sample de ce qui ressemble à « The Way You Make Me Feel » de Michael Jackson et un morceau plus funky que lourd en révélations, comme on aurait pu s’y attendre. « You’ll always be my boy / Ain’t nobody’s business », entend-on. On repense à leur dernière collaboration sexy sur «  » : « Girl I wanna fuck you right now / It’s been a long time I been missing your body / Let me turn the lights down / When I go down it’s a private party ».

Dernier point qui a son importance : quand elle lance, dans « Love Without Tragedy », « je prie pour que l’amour ne frappe pas deux fois », on se dit que l’expérience a dû être assez traumatisante pour qu’elle transpire dans ces morceaux. Mais quand elle chante à Chris Brown « Your love is perfection », c‘est comme si Rihanna disait « c’est ok. Tu m’as tabassée, mais c’est ok ! Viens prendre du fric et ton pied avec moi en studio ». Je vais parler deux minutes en mon nom : je ne sais sincèrement pas quoi penser de cette chanson. Si elle avait été chantée par deux personnes sans histoire, cette chanson classique au petit groove funky, qui est finalement la plus « joyeuse » de l’album, serait passée inaperçue. Mais de devoir les imaginer avant, pendant, ou après l’enregistrement, au mieux, je ne rentre pas une seconde dans le morceau et au pire, je me dis que ce trip voyeuriste (et le message qui peut être entendu) est à gerber.

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