Chroniques

Regal Two Cycles & A Little More

Quoi, Born Bad se remet au garage ? C’est sûr qu’après Forever Pavot ou Julien Gasc, Regal ressemble davantage à ce qu’on pouvait trouver sur le catalogue du label francilien à ses modestes débuts. Les guitares saturées, les mélodies frénétiques, la batterie qui frappe dans le rythme, l’aspect lo-fi, l’appartenance à un collectif de passionnés sans fric (ici la clique  / ) pas de doute, tout cela y est dans ce groupe originaire de Lyon et basé aujourd’hui entre Tournai et Bruxelles. Leur signature chez Born Bad serait donc un pas en arrière pour le label ? Pas vraiment. Parce que Regal a toujours échappé au trop mince étiquetage « garage ». Entre leurs ritournelles folk, ballades au violon, songwriting intriguant et expérimentation de la six-cordes, leurs deux (excellents) avaient prouvé qu’ils étaient bien plus libres artistiquement que la norme. En fait, Regal est juste un groupe de rock, du genre romantique, malin et sans attache. Et avec la dose de charisme qui rend imprévisible.

D’ailleurs, à discuter avec Caelan O’Flaherty, chanteur à la voix chevrotante de Regal, les influences de leur nouvel album sont plus à chercher dans l’ « anti-folk et la pop crasseuse des 90’s comme Neutral Milk Hotel » et les Country Teasers, un groupe britannique complètement débridé aux morceaux provocateurs et aux atmosphères soniques qui pouvaient passer du post-punk à l’électro. Ce sont ces derniers qu’on décèle forcément derrière un morceau comme « A Fascist Ballad », où les paroles menaçantes d’un facho ne sont pas présentées sans tendresse.

Globalement, Two Cycles And A Little More s’inscrit dans la lignée de « A Fascist Ballad » à parler avec douceur de personnages ayant perdu la tête. « C’est ok d’être perdu dans ton petit esprit, c’est ok si tu n’as aucun souvenir » rassure Caelan sur la très belle « Refuge ». Quand à « Mos Eisley/Revenant », elle raconte sur fond de science-fiction l’histoire d’un gars qui fout sa tête dans une machine, coincé à s’imaginer vivre sur la mer lors d’un final dramatique et très beau, comme si cette situation n’était pas forcément à plaindre. Malgré ses quelques poussées de stridences, ce troisième album de Regal se démarque par sa sérénité dans sa fragilité, son empathie, sa maturité à voir dans la folie quelque chose de joli et d’enfantin. Pour preuve le clip du single «  », petit bordel humoristique pour chanson bien mélancolique. Car c’est pas si grave d’être un peu triste.

« On voulait faire un album plutôt positif » confirme Caelan. « Parce que nous aussi avons perdu espoir. Quand des gens se mettent à fond dans un projet sans sécurité comme notre musique, c’est aussi qu’ils n’ont plus rien à perdre dans la vie ». La génèse de Two Cycles n’a effectivement pas été des plus tranquilles, avec des enregistrements perdus et le départ de l’ancien bassiste du groupe, laissant le duo Caelan-Xavier Terracol seuls à essayer de reproduire les morceaux envolés. D’où une dynamique bien moins nerveuse par rapport à leurs premiers albums, mais aussi plus sophistiquée. Le résultat est étrangement charmant et attachant, même si on pourra aussi regretter cette absence de danger, ou plus largement d’impact.

Un peu comme Action Bronson récemment, ce premier album sur un plus gros label n’est pas ce qu’on attend a priori de ce genre de situation, où les années d’expérience devraient se solidifier et atteindre son pic pour offrir leur projet le plus fort qui touchera un public plus large. Comme Mr. Wonderful, Two Cycles tâtonne, essaye, se cherche avec décontraction, sans pression supplémentaire à vouloir offrir ce truc qui mettra tout le monde d’accord. « Two Cycles est un album de reconstruction » confirme Caelan. « Je pense déjà au suivant, qui va être complètement différent ». Pari risqué que de sortir sur Born Bad cette sensible recherche d’identité. Heureusement, Two Cycles And A Little More possède assez de moments de bravoure pour nous faire attendre ce nouveau cycle. Et même un peu plus.  

Scroll to Top