Chroniques

Pyramid Vritra Indra

On l’a longtemps aperçu sans jamais le voir. : avec son groupe The Jet Age of Tomorrow (formé avec Matt Martians), Hal Williams est un rejeton mystérieux de la galaxie Odd Future, dont il a toujours fait officiellement partie. Depuis 2009, le jeune producteur de 22 ans évolue en marge de tout le battage médiatique autour du collectif californien ou des pitreries de Tyler et ses sbires. Majoritairement instrumental et ouvertement porté vers l’expérimentation, The Jet Age of Tomorrow est un condensé de productions trop radicales ou complexes pour que les MC du crew parviennent à rapper dessus sans se ridiculiser. Mais alors que Matt Martians s’est aussi fait voir au sein du groupe The Internet ou à la production de la rappeuse Kilo Kish, l’autre moitié du duo s’est toujours faite plus discrète et donc plus intrigante.

Il faut dire que celui qui s’est rebaptisé Pyramid Vritra exerce une fascination proche de l’hypnose. Derrière des yeux fous, des visuels cryptiques et un nom renvoyant autant à l’Egypte ancienne qu’à la mythologie hindoue, Pyramid Vritra évolue bien loin des sentiers habituels du hip-hop. Pourtant, sa musique est révélatrice d’un genre qui atteint progressivement l’âge adulte en s’ouvrant à de nouvelles influences culturelles. Depuis peu, le rap va même jusqu’à engloutir ces derniers temps les déviances hallucinées du psychédélisme 70’s.

Si De La Soul avait au préalable flirté avec l’exubérance bariolée du P-Funk de George Clinton, les MC et producteurs s’étaient néanmoins tenus à l’écart des délires mystiques et autres drogues lysergiques qui gorgeaient les veines des années flower power. Il est donc intéréssant de voir depuis quelques années l’éruption soudaine d’un courant rap se référant sans complexes au mouvement hippie. Les plus frappants sont à chercher à Los Angeles chez Flying Lotus, le label Brainfeeder ou le club Low End Theory, mais on a aussi pu voir à New York ASAP Rocky rappant à la gloire de l’acide (« Acid Drip »), les camés de Flatbush Zombies s’amusant avec les portes de la perception ou the Underachievers dégainant à tout va leurs breloques hindoues, leur baratin sur le troisième œil de Shiva et leurs samples des Rolling Stones. Mais alors que tous ces rappeurs n’adaptent bien souvent qu’un psychédélisme de posture, Pyramid Vritra pousse quant à lui l’expérimentation un peu plus loin que le simple domaine des drogues.

Derrière un son complexe et dense, Hal Williams construit des morceaux qui semblent partir dans toutes les directions tant leurs structures peuvent paraître illisibles au premier abord. Il est vrai qu’Indra n’est pas très friand des constructions couplet-refrain et la trame de ce disque repose davantage sur l’enchaînement (et parfois l’empilement) des idées plus que sur leur mise en forme dans des formats prédéfinis par une quelconque exigence pop. Pyramid Vritra donne souvent à voir une sorte d’adaptation hip-hop du free-jazz, notamment lorsqu’il pousse l’analogie jusqu’à adopter les délires cosmico-mythologique du pianiste Sun Ra.

En balancier permanent entre lumière et ténèbre, Indra fait preuve d’un incroyable pouvoir de fascination tant ses productions envapées prennent des allures de hiéroglyphes synthétiques. Là-dessus, le flow lent, monocorde et souvent offbeat de Pyramid Vritra navigue à vue sur des instrus pas franchement taillés pour la prouesse verbale. Peu importe, puisque ce disque est avant tout un travail de producteur. La voix et les lyrics sont utilisés uniquement pour leurs vertus sonores et le disque bascule même parfois dans l’instrumental pur comme sur le brumeux « Monkeybread » ou l’énigmatique « Intermission ». Refusant catégoriquement l’utilisation du sample, le jeune producteur travaille les textures à la manière d’un musicien de studio aux neurones rôties par l’acide, comme en témoigne la guitare cabossée de « Tea & Lemonade » ou les claviers spatiaux de « Shining ». De quoi esquisser les grandes lignes d’un rap d’une autre planète, où les clashs hip-hop ne se régleraient pas à la batte de baseball mais aux sceptres des pharaons.

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