Chroniques

Protomartyr Under Colour Of Official Right

Dans l’histoire du punk, la musique comme reflet d’une période et d’un endroit n’a souvent été qu’un fantasme devenant réalité pour et par l’auditeur. Au long des saillies bruitistes de « Maidenhead », titre d’ouverture du second album de Protomartyr, il est aisé d’y reconnaître Détroit comme source d’inspiration. Son atmosphère de déréliction collerait bien avec cette ville officiellement en faillite économique, où la police n’est plus capable de sécuriser certains quartiers en raison d’un budget anémique. Le reste de Under Colour Of Official Right, quant à lui, sentait autant la win qu’une gueule de bois dans la queue d’une agence Pôle Emploi. Mais ce serait mal connaître le chanteur Joe Casey et sa bande.

En interview, celui-ci se défend d’avoir, au travers de ses paroles, un quelconque regard global sur l’Amérique en crise, s’inspirant davantage de sa vie quotidienne, de ses bouquins ou réflexions personnelles. Chez lui, un seul critère de réécoute : le rejet de toute trace d’orthodoxie musicale. Le gars révèle avoir écouté en boucle à l’adolescence ses vieux disques DIY anglais des 70’s et 80’s, surtout à travers les compiles Messthetics ainsi que son pendant US, Skipped to Death. Un vrai nerd du punk. Tellement nerd qu’il s’est déjà fait consacrer par le comme le « plus cool des moins cools » frontmen du moment.

Pendant ce temps, deux autres membres de Protomartyr s’échinaient, entre deux petits boulots, à mouliner quelques ritournelles punk hardcore dans une cave sordide sous le nom de Butt Babies. De jeunes mecs considérant probablement qu’il y avait une place à prendre sur le terrain de la guitare qui ferraille. D’autant plus que les Wavves et autres consorts timorés aux yeux des puristes sonnent selon eux comme de parfaites premières parties pour un éventuel retour sur scène de Blink 182, à l’image de ceux qui, comme nous l’avions expliqué dans notre papier sur Dookie, avaient exclus Green Day des clubs punk de Los Angeles.

Mais depuis No Passion All Technique, premier LP sorti chez Urinal Cake Records (joli nom), Protomartyr a su arrondir les angles, s’ouvrir vers des espaces plus larges. Leur passage chez Hardly Art, label des Jacuzzi Boys, est devenu l’occasion de brouiller les pistes. Le tic de batteries en rétention sur « Ain’t So Simple » nous ramène ainsi au post-punk de Joy Division. Quant aux guitares de « Want Remover », elles sonnent comme du black métal enregistré dans une grange norvégienne des années 90.

Joe Casey se comporte lui comme l’un de ces vieux sages flamboyants à qui on ne la fait plus. Avec ses intonations à la Nick Cave, il s’imagine en imprécateur d’une apocalypse proche, de La Chute au sens littéral, sans rémission et sans arche de Noé pour fuir le raz de marée de saturations s’apprêtant à tout recouvrir avant le White Noise global. Sur le titre « Tarpeian Roc », d’une voix comme trébuchante sur des échos vertigineux, Joe liste les typologies de personnes qui mériteraient d’être jetées du haut d’une montagne. Comme au temps de l’antique Rome décadente.

C’est finalement la fusion de ces deux sensibilités (un groupe purement dans l’abrasif et un chanteur enclin au romantisme déglingué de fin des temps) qui fait tout le charme et l’originalité de l’affaire. Reste pour Protomartyr à trouver un parfait terrain d’entente, certaines chansons manquant d’un petit plus pour vraiment décoller. Le groupe semble encore s’y rôder, mais la posture, beaucoup plus habitée que la moyenne des sorties du genre, et l’affirmation d’une esthétique sonore échappant aux cases, rattrapent les quelques temps morts qui précèdent un finish au niveau de leur single «  ! » : incendiaire.  

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