Disons-le tout net, un groupe de rock qui continue quand ses membres ont dépassé les quarante ans, ça ne sort plus des albums cruciaux. Les groupes de quadras ou de quinquas, ça écrit des disques qui caressent le fan dans le sens du poil, avec parfois quelques bonnes chansons, histoire de repartir dans une tournée best-of le ventre plein. Des Rolling Stones à Radiohead en passant par Sonic Youth, The Cure et R.E.M., c’est la même chose. Quiconque souhaite sortir un grand album à un âge canonique (pour la pop) il existe une solution : l’aventure en solo. À 40 ou 50 ans, toute bande de potes normalement constituée a cessé de vouloir bouffer le monde : on se serre les coudes pour sécuriser la complémentaire santé (la retraite, toussa) ou ne pas foutre l’ingé son au chômage.
Voici donc une première opinion sociologico-fataliste sur la qualité du nouvel album Primal Scream, le dixième. Passé ce jugement, il s’agit quand même de Primal Scream. Un groupe jamais majeur, plutôt maladroit même, qui a produit quelques albums foutrement bons (plus ou moins tous ceux des 90’s, de Screamadelica à XTRMNTR) presque par accident, en ayant la chance qu’une consommation déraisonnable de toutes les drogues possibles leur amène la Lumière. Dans le détail, il y a pas mal de bons moments dans ce More Light. Globalement, l’ensemble sonne studieux, plein de bonnes intentions, bourré d’un bon goût qui ne présente rien de dangereux, de barré. C’est la vie qui veut ça (Gillespie est aujourd’hui le père de deux bambins) : désormais, chez Primal Scream, les drogues sont exclues de l’équation.
« 2013 », premier single qui ouvre le disque est un hommage stoogien dans le texte (titre de l’année en cours + sax torturé), le traitement de guitare trademarké Kevin Shields fait merveille, le groove est là, les paroles ont un petit versant politique assez rafraîchissant dans le paysage pop actuel. Mais malgré tous ces efforts, le résultat demeure assez plat, tout est en place mais semble n’avoir que peu de profondeur. Les formules « choc » font pschitt et la morale de l’histoire (« révoltez-vous, les jeunes ! ») fait un peu bailler aux corneilles. C’est dommage, Bobby Gillespie est plus intéressant à lire dans ses interviews qu’à travers les paroles de ses chansons.
Il y a quelques pistes plus expérimentales, répétitives : un exercice absent des disques du groupe depuis Evil Heat en 2002. La très jolie « Relativity » fait du bien à un dernier tiers en roue libre. Mention spéciale à « Culturecide » et son punk mécanique à la paranoïa contagieuse. En revanche, « Invisible City » ressemble à une tentative assez grotesque de pop rock carré boosté par des cuivres. On sent qu’ils ont voulu traiter ce titre comme un single, mais le morceau ne se défait jamais du caractère besogneux de la chanson à laquelle on cherche à apporter un éclair de génie qui ne vient jamais (comparez-ça avec « », le shoot d’héroïne en plus, le résultat est carrément d’un autre niveau). Pareil pour les deux dernières chansons du disque, petits clins d’oeil aux balades mythiques de Screamadelica : « » et « ». Sauf que, encore une fois, l’inspiration est faiblarde, notamment sur « It’s Alright, It’s OK », hymne pop triomphant un peu bateau. Certes, la BBC Radio 6 passe le single en boucle depuis un mois et remet ainsi Primal Scream sur la carte, mais cela manque du danger et de l’euphorie irrésistible de « Moving On Up ».
Verdict : tirez vos six chansons préférées de More Light, ajoutez les aux quatre ou cinq très bonnes chansons de chacun des trois albums précédents de Primal Scream. Vous en tirerez une playlist Spotify très agréable, la quintessence de ce que la version certifiée « sans drogues ni alcool » de Primal Scream peut faire de mieux. Au moins, la bande à Gillespie pourra repousser l’âge de sa retraite tout en conservant son ingé son.