Chroniques

Poliça Shulamith

Dans l’enfer du marché au leak de ces dernières semaines, il était difficile de faire le poids face au gentil mastodonte Arcade Fire. Le tant attendu Reflektor ayant fait le jeu de la presse et du buzz, celui-ci a presque écrasé toute la concurrence. C’est donc dans l’indifférence quasi générale que Poliça a dévoilé, avec une semaine d’avance sur sa sortie officielle, son deuxième album. Bien conscients qu’aujourd’hui, plus que jamais, on rend grâce à celui qui fuitera le premier.

Malgré une avant-première discrète, Shulamith était bel et bien escompté. Parce qu’après avoir été adoubé par la hype avec Give You the Ghost courant 2012, le duo de Minneapolis a vu sa condition changer en quelques clics. C’est d’abord Justin Vernon (qui a enregistré avec eux) qui a modestement déclaré au magazine américain Rolling Stone que Poliça était « le meilleur groupe (qu’il ait) jamais entendu ». Après cette encourageante déclaration, c’est Jay-Z qui a fini d’introniser le groupe en postant le premier clip de l’album sur son site . Relayé de toutes parts, le succès de Poliça est déjà en marche. Give You the Ghost glisse alors tranquillement sur son parterre de lauriers. Avec pour objectif, la promesse d’un deuxième effort à la hauteur du premier.

Ils ont désormais la lourde tâche de surprendre avec deux sorties aussi rapprochées. Et c’est dans ces moments là qu’il s’agit de faire preuve de temps. S’il semblait impossible que Channy Leaneagh et Ryan Olson opèrent une volte face, ils réussissent aujourd’hui le pari de revenir là où ils en étaient restés avec Give You the Ghost : à la croisée d’une électro expérimentale et d’un r’n’b sulfureux.

Aussi vrai que ce premier opus donnait lieu à une véritable baston intérieure entre bien et mal, Shulamith mène le bon côté des choses de la vie à la victoire. Encore sombre dans quelques uns de ses recoins, ce deuxième album laisse toujours entrer le peu de lumière nécessaire à une positive-attitude. « Tiff », le fameux featuring enregistré avec Justin Vernon, n’a, par exemple, de glauque que le clip qui en est extrait. Les tourments d’hier se montrent sous un nouveau jour. Tout comme le groove qui ne va plus forcément se chercher dans les fûts de Drew Christopherson : il se mue en irrésistible danse du serpent dans des titres comme l’excellent « Warrior Lord » ou « So Leave ». Channy ne hante plus ses chansons, elle les pénètre, elle transperce la production de son binôme Olson. Les mouvements y sont plus gracieux, moins sujets à interrogations quand à la direction qu’ils vont prendre la minute suivante. La maîtrise des effets (empilements de batterie, auto-tune, réverbération massive…) s’en ressent également. Le duo s’affirme, sait où il va et se fait plus décisif encore que sur Give You the Ghost.

Finalement, le plus gênant dans ce Shulamith sont les raisons pour lesquelles il a été enchaîné aussi vite. Outres les sempiternelles déclarations type « Nous voulions donner un nouvel élan à notre musique », « Je voulais m’améliorer », à la mi-octobre, vouloir ce disque pour le confort financier de sa petite famille. Avant d’ajouter : « C’est dur de vivre de la musique aujourd’hui. » Sans blague ?

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