À la vue des palmarès albums 2012, le déformatage pop sauce psyché semble retrouver une certaine popularité au grand dam des canons de l’industrie. Et si Tame Impala servait d’éclaireur ? Le mouvement se ressent au sein de l’usine indé de la scène de Manchester, qui a le tort de n’être pas redevenue suffisamment hype pour voir toutes ses têtes de proue émerger au-delà de ses frontières. Du coup, à défaut de moyens notamment pour tourner, mieux vaut être sur place pour avoir une meilleure idée de ce qu’il se passe.
C’est le cas de Plank!, qui a sorti l’album Animalism (disponible ) en 2012 et soutenu une promotion rudimentaire par des concerts époustouflants sur Manchester et Liverpool. Sur le papier, il y aurait de quoi prendre des pincettes car leur musique est 100% instrumentale. Le trio, que nous avons rencontré il y a quelques semaines, s’en explique : « On se sent un peu saturé du format chanson que l’industrie a stéréotypé à outrance. C’est juste bon de ne plus se préoccuper du premier couplet, du deuxième, du pont du refrain. […] Ce qui me déprime de nos jours c’est de voir les gens chanter une chanson pop signifiant à l’auditoire que tout ce qu’ils recherchent c’est être le plus célèbre possible et se faire le plus de fric possible. J’ai une vision plus noble de la pop music et celle qui m’a touché ne délivre pas ce genre de message. » Pas de couplets-refrains donc mais des secousses très mélodiques et une conduite à risque, drivée à la guitare et aux synthés pour retomber sur ses pieds. L’auditeur a de quoi être désorienté mais une fois digérés, les morceaux, derrière leur aspect « tripant », ont surtout pour effet de vous plonger en pleine partie de jeux vidéo de race-car vintage, doté pour une fois d’une BO bien foutue. La musique de Plank! se base sur des blocs instrumentaux solidifiés par une rythmique fluide et rigoureuse. Les titres, pas plus longs que 4 minutes, oscillent entre psyché, krautrock et prog et sont garantis 100% sans branlette rétro 70’s.
Si esthétiquement, on s’éloigne du post-rock de papa, le concept s’en approche, car la musique tire son inspiration d’une certaine imagerie animale. La raison tient au désir de lier l’urgence à une idée simple de retour aux pulsions instinctives. De l’aveu du groupe, leurs références évidentes en matière de culture populaire ne sont pas du tout fortuites : « Bien sûr que la vision d’Orwell (le roman La ferme des animaux, qui divise l’Humanité en catégories animales – Ndlr) est une source d’inspiration et une référence forte pour les Anglais que nous sommes. Mais notre positionnement est plus abstrait. Cette musique s’articule autour de principes un peu philosophiques mais très simples : l’humanité perdue, ou comment une société animale pourrait remplacer cet ordre. On a voulu faire de la musique qui évoque la décadence et le retour à la nature. Après, notre propos n’est pas à prendre trop au sérieux, car nous tenons à mettre en avant d’autres influences que sont les dessins animés pour les gamins ou des univers comme celui de Winnie l’Ourson, par exemple, où l’ours a pour meilleur ami un cochon, et tous les deux sont potes avec l’âne. C’est un peu tout ça à la fois. »
Ces explications aident à trouver son chemin dans ce disque, mais c’est en enchaînant les écoutes qu’on apprécie réellement toutes les subtilités de cet Animalism. Concernant l’expérience live, cette volonté de ne pas se prendre au sérieux vient également expliquer l’irruption originale à chaque concert d’acolytes du groupe affublés de masques de cochons venant danser joyeusement sur scène (et sans cérémonial d’introduction particulier). Plank! semble vouloir adapter au XXIe siècle les danseurs scéniques si chers au Happy Mondays et aux Stone Roses il y a vingt ans. Animalism est très clairement l’un des disques les plus cruellement passés inaperçus en 2012 : il ne connaît aucun temps mort, à la croisée des chemins du Talk Talk des dernières années, Amon Düll, de Bowie à Berlin, ou de LCD Soundsystem dôté d’un groove Mario Kart. C’est une pépite déjà culte à découvrir, car venant du secret le mieux gardé de la scène mancunienne.