Chroniques

Placebo Loud Like Love

Sorte de Peter Pan dark et crypto-gay, à la gueule bien plus grande que lui, Brian Molko semble depuis plusieurs années justifier à lui seul la pérennité de Placebo. C’est qu’on avait plus ou moins perdu de vue son trio de glam-rock alternatif, sans état d’âme, au milieu des années 2000. Et les voilà donc de retour avec un septième album.

Revenons un peu en arrière. En 1996, le groupe éclate avec deux titres emo-punk, «  » et «  ». Un mal-être coquet se dégageait de ces trois figures pâles aux cheveux noirs : Molko, Steve Hewitt et Stefan Olsdal n’ont de toute façon jamais eu l’air jouasse. Pendant une petite dizaine d’années, nos gentils corbacs gravissent les marches quatre à quatre et atteignent leur apogée avec un quatrième album, Sleeping With Ghosts, sorti en 2003. Un disque dont les quatre singles ont tourné en boucle pendant deux ans : «  », « Special Needs », «  », «  ». Autant d’hymnes inloupables à l’époque, avec pour cœur de cible une cohorte d’ados torturés, et emo jusqu’au bout de la seringue (les drogues représentent quelque chose de glamour dans les chansons de Placebo, dont le nom plus laissait déjà quelques indices). Trop pop, encore plus « aseptisés », les albums de Placebo ne feront plus effet par la suite.

Depuis 2009 et l’infâme Battle for the Sun, Molko, qui se présentait à l’époque comme un « dictateur bénévole », a rangé son ego au placard et partage l’affiche avec Stefan Olsdal, grand suédois atone. Avec Loud Like Love, ils règlent les vieilles rancoeurs pour livrer, étrangement, l’un de leurs meilleurs disques. Sur une moitié de morceaux, ils opèrent un retour aux sources inespéré et se concentrent sur ce qui a fait le succès de Placebo première époque : des beats industriels, des guitares abrasives et les contes d’un type dépravé, un peu paumé, au micro. Dans le genre, « Exit Wounds » voire « Loud Like Love » se révèlent écoutables, quand on se prend assez facilement au jeu de « Purify ». Des chansons plus posées comme « Hold on to Me » (la meilleure de l’album) et « Bosco », la moins maniérée, viennent alléger un ensemble un peu lourdingue.

Car là où la machine s’enraye, c’est quand Placebo s’essaie au rock de stade. On sent poindre l’envie de venir tutoyer le succès de Muse et Coldplay, qui ont décollé vers des sphères de popularité qu’ils ne pourront jamais que contempler de loin. Si les gimmicks du pop-rock fédérateur sont bien présents, dans la construction, la production et le texte, on peut émettre deux hypothèses pour expliquer l’échec résultant : soit ils auraient mieux fait de rester le groupe pop-indus du début des années 2000, soit ils n’ont pas les épaules assez larges pour le costume. L’illustration parfaite de ce naufrage reste « Too Many Friends », le premier single. Avec pour thème universel l’isolation provoquée par les nouvelles technologies (ambiance « phénomène de société » du 20h de Pujadas), un refrain simpliste et compréhensible par un élève de CM2 (« Too many friends / Too many people »), on se rend compte qu’une bonne partie des ingrédients sont là, mais que la sauce ne prend jamais.

Après sept albums, dommage que Placebo ne soit parvenu à faire le bilan et à lancer une nouvelle direction à sa carrière. Nous sommes en 2013, Brian Molko a 40 ans et les chanteurs aux textes drogués ne choquent plus que nos mères-grand. Tout dans cet album semble automatique et calculé, bien loin des hésitations de « Nancy Boy » et « 36 Degrees », de la puissance sombre d’un «  » voire pourquoi pas du potentiel comique de «  ».

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