Chroniques

Phoenix Bankrupt!

La tronche gênée de sous le soleil de Floride est en quelque sorte la parfaite définition de Phoenix. Il en était presque touchant, avec son regard de copain timide, alors même qu’il domine l’une des scènes de Coachella et fait face à un ban de mecs et de nanas en jean ultracourt et à la peau couleur pêche (promis, pas de blague). Le tube du dieu du R&B, « Ignition » (ou plutôt son remix, comme c’est de coutume chez R.Kelly) vient se coller au rythme de « 1901 » comme si de rien n’était. Phoenix est devenu au fil des ans le copain timide tellement bon en physique-chimie qu’on se met toujours à côté de lui pour piquer sa formule de la pop, la recette de ses compositions désinvoltes.

Réussir aux États-Unis pour un français, c’est chose rare. On a bien eu Christian Audigier et sa marque de kéké (sérieux Ed Hardy), Louis Leterrier et ses films de kéké (sérieux Le Choc des Titans). Mais le vrai succès, commercial et d’estime, vient en 2009 pour Phoenix qui se rappelle aux bons souvenirs de La Fayette et des Hurons en empochant un Grammy pour le meilleur album de rock alternatif avec Wolfgang Amadeus Phoenix. Le soleil brille et les gens oublient les guerres. Professionnels sur le tard, Thomas Mars, Deck d’Arcy et toute la bande profitent de cette reconnaissance. Ils ont bâti un album solide dont les tubes – notamment «  » – sont propices aux sessions karaoké braillées avec toute la finesse du franglish.

Retour en 2013. Bankrupt! possède cette qualité du disque aéré qui accompagne les premiers bourgeons, comme un théâtre d’ombres asiatiques où rebondissent les élans mélancoliques de Thomas Mars, qui évoque la solitude encore mieux que sa copine Sofia Coppola. « Entertainement », lâché comme premier single, remplit aisément son rôle avec un hook traditionnel asiatique qui aurait pu être emprunté au « Hong Kong Garden » de Siouxsie and the Banshees. Le clip ressemble à un mini-Cloud Atlas – dernier film des frères Wachowski – où personnages et histoires d’amour s’enchevêtrent dans le temps, tout comme la chanson, qui se termine sur des chœurs réunis autour d’un micro. Des titres sortent du lot, on pense notamment à « S.O.S. in Bel Air » que Mars agite comme une injonction, véritable pont mélodique avec Wolfgang. Parmi les derniers vestiges du précédent opus, l’ironie de « Bourgeois » ou l’exubérance d’« Oblique City » avec ses lignes de code à la ABBA. « Chloroform », vapeur toxique lancinante aux accents R&B ou « Drakkar Noir », du nom d’une eau de toilette par Guy Laroche, semblent plus policés, enrobés, alors que le groupe s’évertue à prendre le cerveau des auditeurs à contre-pied.

Produit par Philippe Zdar de Cassius, le son de l’album porte quelques réminiscences des précédents Phoenix, ainsi que des similitudes avec le dernier Strokes. Parce que Mars tient certains morceaux d’un mince filet de voix, tout le monde clame que Phoenix se met en danger sur ce nouvel album. Bankrupt! est vendu comme un renoncement. On efface le Saturday Night Live et on détruit ses idoles. Le succès ne peut pas monter à la tête quand on répète que l’échec est un sentiment plus enviable.

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