Chroniques

Perfect Pussy Say Yes To Love

N’avez-vous jamais eu l’envie d’arracher les cheveux de Miley Cyrus, Lady Gaga, Lily Allen ou Beyoncé quand elles s’auto-déclarent « féministes » (ce qui ne les empêche pas d’aller enregistrer ou de se faire par ce gros dégueulasse de Terry Richardson) ? Cette forme de rebranding (à la manière de McDonalds et de son nouveau logo vert crypto-écolo) est d’autant plus à la mode que personne ne prend les devants pour montrer la voie et remettre les pendules à l’heure. Enfin, si, il y a bien quelqu’un. Mais le problème, c’est que sa musique est un tantinet moins accessible.

Ce quelqu’un, c’est Meredith Graves. Meredith Graves, entourée de quatre bonhommes, porte son groupe Perfect Pussy sur ses épaules et mène la bataille de toute sa présence complexe et fascinante. Perfect Pussy n’a pas besoin de se dire « féministe », tout comme le public n’a aucun besoin de l’entendre. Au final, Perfect Pussy n’a rien à revendiquer haut et fort : sur le premier album de ces cinq tatoués de Syracuse, ville de taille moyenne de l’Etat de New York, la musique parle d’elle-même.

Lorsque l’on a écouté pour la première fois l’EP I Have Lost All Desire For Feeling l’an dernier, c’est peu dire que l’on s’est pris une claque. Il y avait quelque chose de violent dont on ne s’est jamais tout à fait relevé, et que, pour être honnête, nous avions eu du mal à piger dans sa globalité. Après tout, ce qui nous bouleverse et nous transporte n’est en général qu’une histoire de vertu, si bien que nous nous sommes demandés si le manque de justesse de cet EP ne pouvait être que posture (surtout qu’il débordait de mélodies enfouies sous des couches de guitares et de synthés). Nous avons fait le choix de ne pas y croire. Et aujourd’hui, leur premier album (enfin, album… il s’étend sur une petite vingtaine de minutes, dont quatre de quasi-silence) a défait tous nos doutes éventuels.

Say Yes To Love, donc. À première vue, les morceaux donnent l’impression, plutôt que de dire « oui » à l’amour, de crier un gros « non » à la tronche du futur. La faute à une superposition de guitares barbelées qui n’invitent pas vraiment à une écoute informelle. Peu de musiciens peuvent aujourd’hui prétendre autant jouer à l’instinct, avoir autant les cojones d’assumer leur faiblesse de manieurs de manches encordés, comme si on allait leur retirer leur raison de vivre et les enfermer dans une cellule ad vitam aeternam. L’usage du larsen est ici marque de fabrique. L’auditeur n’a même pas le temps de respirer entre la furieuse «  » et la non moins énervée « Bells ». À la fin de ce morceau, on entend ce qui ressemble fortement à un cœur qui bat, comme si cette musique était réellement vitale, pour ceux qui la jouent comme pour ceux qui l’écoutent. C’est incroyablement premier degré, déjà vu, déjà entendu. Mais c’est ce qu’on appelle une déclaration d’intention, et ce cœur qui bat résume tout ce qu’est Perfect Pussy : un groupe sérieux. Il ne ricane pas, regarde son auditeur droit dans les yeux. Les enjeux sont bien trop importants pour laisser de la place au second degré.

On a clairement affaire à une musique de crise (et on ne parle pas que d’économie). On ne se perdra pas en circonvolutions sociales vaseuses, vous voyez où on veut en venir : les morceaux se terminent presque tous dans un larsen, comme si le groupe, épuisé d’avoir tout donné le temps de deux minutes (environ) où les instruments se foutent sur la gueule comme des hooligans imbibés, rendait les armes. La preuve, sans doute, que cette musique ne se joue pas mais qu’elle se vit, jusqu’à l’épuisement total de toute ressource physique et mentale, des musiciens comme du public.

Ce qui ressort également de Say Yes To Love, c’est l’idée que Graves n’est pas une riot grrrl comme les autres. Si Bikini Kill, Bratmobile et les autres chantaient la tête haute et le verbe fort, histoire de donner un côté séduisant au truc, Perfect Pussy ne cherche pas à embellir son objet : la réalité est brutale, tout comme la musique, étouffante, et les paroles, étouffées (on a souvent l’impression de se retrouver devant Alice Glass, de Crystal Castles). « Twenty six years of false pretenses, again/ Pretending to care about men/ I am loved insofar as I cherish this pain/ You should shut your mouth because language means nothing », chante Graves sur « Dig », avant de donner un nouvel exemple de sa plume premier degré sur « Bells » : « We make love and fall/ And it doesn’t feel good/ It’s not magic, it’s work/ But it’s real and that’s cool ».

Notre première impression était fausse : le titre de l’album n’est pas ironique. Perfect Pussy n’est pas un groupe no future, c’est un nouveau genre de groupe punk : un groupe punk qui n’a pas confiance en lui, qui ne surjoue ni le nihilisme, ni la nonchalance. Bref, un groupe qui combat tous ses démons, ses névroses dans une bouillie bruitiste. On se doute bien que Graves a dû vivre un sacré paquet de trucs crades dans sa jeunesse. Ou pas, d’ailleurs. Le savoir ou non ne changera rien à la force évocatrice de cette nana qui se débat pour avoir une voix dans ses propres chansons. 

Au-delà de la fureur qui se dégage des six premiers morceaux, cet album offre sa part de musicalité, quasi expérimentale, sur un final absolument inattendu. Un final qui rappelle, dans un tout autre genre bien entendu, celui de Random Access Memories et ces deux morceaux qui délaissaient l’ambiance 70’s pour s’intéresser au futur (« Doin’it Right » et « Contact »). «  », l’avant-dernier morceau, démarre comme le reste : dans le bruit et la rage. Mais après une minute et trente secondes de ce traitement (sans compter l’effet des morceaux précédents, qui laissent de sacrées traces) le groupe change la donne et rallume la lumière. Ambiance gueule de bois et fin du monde. Quatre longues minutes d’un quasi-silence reposant et inattendu. De grésillement. La guitare, calme, lancinante. Puis le virage.

«  », le dernier morceau, déboule et nous prend à revers. La musique devient électronique. S’emballe. S’énerve. Nous parvient alors, lointaine, comme une communication cosmique, la voix de Graves, sorte de Dame Blanche punk-hardcore. Le grésillement revient, la musique devient bruit de fond, puis tout s’arrête, nous laissant exsangues, épuisés. Est-ce la fin du monde vue par une bande de dégénérés ? Ou est-ce la fin d’un monde, musical, tel qu’on le connaissait ? « I thought it was amazing and I almost cried / Nothing that comes and comes is forever », beuglait Meredith Graves sur « », quelques morceaux plus tôt. Sans doute une manière de nous préparer à ce final. En espérant, surtout, pour nous, pour eux, pour le monde, que tout ceci ne soit que le commencement d’une discographie au potentiel immense.

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