Chroniques

Perfect Pussy I have lost all desire for…

Je ne sais pas si ce genre de musique a un quelconque avenir. Si le simple fait de jouer fort, vite et pas tout à fait juste dans l’unique but d’expulser une névrose quelconque peut représenter une forme viable de projet commun, ici, en 2013. Je ne sais pas si baptiser son groupe Perfect Pussy relève d’une inscription trop formelle dans les canons typologiques trash de l’époque. Ils souhaitent peut-être que leurs fans préadolescents tapent « Perfect Pussy » sur Google et fassent leur éducation sexuelle eux-mêmes. Je ne sais pas non plus si Perfect Pussy est un groupe aussi pseudo-générationnel que Fauve. Je ne sais plus rien car tout a été remis en cause.

Ce que je sais, en revanche, douze minutes et quatre chansons plus tard, c’est que Perfect Pussy n’est pas qu’un énième groupe qui joue fort, vite et pas tout à fait juste. Ce groupe, c’est trois garçons et une fille qui viennent de Syracuse, un bled américain comme tant d’autres. Leur premier EP, I have lost all desire for feeling, est disponible en cassette et sur depuis avril. Ils ne sont ni sur Facebook, ni sur Twitter.

Message au mélomane non-averti qui ira poser ses oreilles sur cet EP : malgré les apparences, vos enceintes fonctionnent très bien. I have lost all desire for feeling est simplement une punkerie affreusement mal mixée et qui crache dans tous les sens. Le mélomane averti, sceptique de nature, en revanche, entreverra l’escroquerie d’emblée. La jurisprudence Fugazi ou quelque chose du genre.

Ces douze minutes condensent la violence de Melt-Banana et les explosions du Trail of Dead. Mais stop les références, mon con, la furie punk n’obéit à aucun cahier des charges. Bon allez, une dernière pour la route : on pense surtout à Joy Division dans la manière dont les instruments, plutôt que d’accompagner la mélodie, se confrontent dans un espèce de combat de boue foutraque et saturée. Et SEULEMENT pour ça. Ils s’entrechoquent sans arrêt et après eux, le chaos. J’exagère peut-être, mais ces chansons sonnent comme si leurs auteurs seraient morts s’ils ne les avaient pas écrites.

Perfect Pussy n’offre pas le moindre temps mort. Ce n’est pas leur boulot. Pas de gimmick pop, pas de répit. Même les bouts de mélodies de synthés sur « II » et « III » ne parviennent pas à calmer l’ensemble. Dès les premières notes de « I », on pourrait méprendre Perfect Pussy pour le dernier rejeton des revivalistes du rock indé des années 90. Mais le tout embarque vite dans un délire bruitiste qui ferait passer No Age pour Jack Johnson. Leurs chansons ne sont pas écrites, elles sont crachées. Meredith Graves ne chante pas, elle beugle. Et malgré tous ses efforts, on l’entend à peine, ce qui n’est pas étranger à cette impression de se retrouver face à une version punk hardcore de Crystal Castles. Voyez le résultat par vous mêmes : .

Il y a en outre quelque chose d’éminemment politique chez Perfect Pussy. Quelque chose qui dépasse même le cadre de la nana-tatoué-et-piercée à laquelle on pourrait facilement coller l’étiquette « riot-grrrl ». Ce quelque chose fait écho à un autre groupe nord-américain : Titus Andronicus. Depuis le New Jersey, ils nous envoient des chansons qui sont celles d’un général en guerre contre la dépression, l’ennui et le ressentiment. « It’s still us against them / And they’re winning », chante leur chanteur Patrick Stickles sur « Four Score and Seven », morceau issu de leur meilleur album, The Monitor (2010). Stickles, dépressif notoire et accro à tout un tas de médicaments, prend ses tourments intérieurs et les transforme en balles à blanc destinées au monde extérieur. Autant souffrir ensemble que tout seul dans son coin. Malgré ses cornemuses, ses chants patriotiques et l’ethos de végétarien militant de son leader, Titus Andronicus est le dernier groupe authentiquement punk.

Si Meredith Graves évolue dans un environnement sonore autrement plus bruyant, dans sa manière brutalement honnête de délivrer ses expériences et d’en tirer des leçons, elle est d’une espèce punk proche de celle de Patrick Stickles. Ses paroles sont presque inaudibles, mais elles sont disponibles sur la page Bandcamp du groupe et dans la cassette 4 titres qui renferment cet EP. Graves transforme ses histoires d’isolation, de frustration, de perte et de désespoir en une terre fertile à la reconstruction. Quand elle chante « I‘m a tough boy / Wild and innocent and dangerous as hell / I’m awake and awakening / I am here and I have died / I killed the parts of me that said that I know / I killed off all the parts that keep me awake / I’ll die a thousand times to prove that I’m living », sur « II », on a le droit d’imaginer tout ce qu’elle a pu ou non traverser, mais quoi qu’il en soit, la leçon de vie est implacable.

On ne sait jamais qui est le narrateur, qui est l’interlocuteur. Les lignes sont brouillées, les descriptions elliptiques. Quand le rock indé moderne déguise souvent l’émotion brute au profit d’un story-telling au second degré, Perfect Pussy propose rien de plus qu’une catharsis : « I am full of light / I am filled with joy / I am full of peace / I had this dream that i forgave my enemies », chasse-t-elle en outro de « I ».

Ils rejoindront peut-être le catalogue d’une quelconque major dès l’an prochain, surtout que leur manager (qui a la bonne idée de s’appeler Grace Jones) nous a déclaré, en réponse à notre demande d’interview, qu’ils feront bientôt une « grosse annonce » et qu’il faudra « attendre un peu ». Profitez donc de l’immaculé punk de Perfect Pussy tant qu’il est encore temps. Cet EP est une anomalie bruitiste dans un monde qui a oublié que le principe même du punk n’est pas de claquer de vieilles portes, mais plutôt d’en ouvrir de nouvelles.

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