Chroniques

Paul McCartney New

Nous sommes en 2013 et, très honnêtement, l’actualité est si compliquée que l’on se gardera bien de repartir sur un développement dans lequel on s’étonnerait que notre société manifeste des signes inquiétants de déboussolement loin, très loin de l’innocence et de l’idéalisme des années 60. Celles-là même qui ont vu éclore la plupart de nos dirigeants actuels, celles d’une génération qui aurait pu positivement changer le monde mais qui a fini par utiliser le meilleur d’elle-même pour assouvir ses besoins de fric et de pouvoir.

Et ce bon vieux Paul McCartney dans tout ça ? S’il a écrit quelques grandes chansons à l’époque, il n’en est pas moins déboussolé, lui aussi. Ainsi, il tourne sans arrêt, sans doute histoire de mourir sur scène et de conjurer le sort, qui l’a souvent privé brutalement d’un paquet de proches essentiels à l’édification de son œuvre. Du coup, il a décidé de faire plein de trucs bizarres qu’on n’aura jamais eu le bonheur de voir John Lennon faire, genre s’amuser dans des talk-show aux cotés de Katy Perry (comme cette semaine ). Déboussolé toujours quand il parle de sa position sociale et se revendique comme membre de la classe ouvrière. Et c’est qu’il est sérieux, en plus, le Paulo.

Pour ce qui est de la musique, monsieur s’est résolu, comme la plupart du temps, à ne brusquer personne sur ce nouvel album. Après tout, pourquoi t’embêter à livrer un grand disque quand tout ce pour quoi les gens viennent te voir en concert c’est « Let It Be » et « Hey Jude » ?

Les suiveurs de la perturbante carrière solo de McCartney ne seront pas surpris : New ne vient pas tutoyer les sommets atteints dans la douleur et le conflit avec Nigel Godrich sur Chaos And Creation In The Backyard. À la place, on y trouve des chansons-vignettes presque toutes dignes mais pas toujours idéalement produites. Comme on aurait pu le supposer, le producteur Paul Epworth nage au-dessus de la mêlée (il s’est même démerdé pour choper des crédits de songwriting, malin le bougre). Il sait trouver le bon groove, celui à même de gérer une voix et une diction contraignantes car à la fois vieillissantes et mythiques. Son « Save Us » et surtout « Queenie Eye » sont impeccables, modernes et distillent la magie mccartneyenne en mode upbeat sans aucune facilité pour autant.

En revanche, Giles Martin se plante assez lamentablement. Tout le monde sait que son principal atout est d’être le fils de George Martin, mais ici, il ne trouvera pas l’occasion de se faire un prénom. Il n’est là que pour conforter les certitudes de McCartney et organiser l’enregistrement. Toutes les chansons qu’il produit souffrent d’un manque de personnalité et de fantaisie (notamment l’affreuse « Everybody Out There »). On sauvera « Appreciate » qui sent bon la jam de studio improvisée en une prise puis retouchée par la suite. Mark Ronson, de son côté, fait preuve d’un inhabituel sens de la retenue. Le morceau-titre se montre tout juste sympathique mais sent un peu trop le « on se la refait comme en 67 ». Ailleurs, on trouve « Alligator » pas mal mais on s’attendait à davantage de fantaisie, de rythmes chaloupés et de cuivres dans tous les sens avec cette collaboration Ronson-Macca.

Autre producteur important, Ethan Johns remplit le cahier des charges : on lui a demandé « le même son que Laura Marling pour les ballades acoustiques tristes » (et ça fonctionne très bien sur « Hosanna »). On lui doit aussi la mise en musique de la plus touchante composition du disque, « Early Days », stupéfiant témoignage du septuagénaire évoquant ses souvenirs et la manière dont l’opinion publique les réécrit et les falsifie. Le point de vue est assez original mais en même temps, le sujet est un peu exceptionnel, renforcé qu’il est par cette voix de vieil homme que McCartney assume enfin. Comme à l’époque du doute des Beatles, quand lui et Lennon avaient puisé dans leurs souvenirs d’enfance à Liverpool, autour de Strawberry Field et Penny Lane, l’essence nécessaire pour exorciser leurs frustrations et les angoisses.

Tel est le McCartney de 2013, à radoter en interview que s’il a été content de rencontrer Blair, Obama et Clinton, il ne les a jamais trouvés plus brillants que ses vieux oncles qui lui dispensaient leurs bons conseils aux fêtes de familles. La survivance de Paul McCartney et sa persistance à faire des disques ne revêt pas qu’un simple intérêt patrimonial. On retrouve toujours avec plaisir pareil génie du songwriting et de l’entertainment, et malgré ses nombreux défauts le plus souvent dus au péché de complaisance, il sait toujours rappeler quelques principes éthiques oubliés dans une musique populaire abîmée par l’industrie et le marketing.

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