Chroniques

Nick Cave and The Bad Seeds Push The Sky Away

Les australiens ont toujours eu le goût du vagabondage. «  », l’une des chansons folkloriques les plus populaires du pays décrit les affres d’un travailleur itinérant qu’on croirait sorti droit d’un roman de Steinbeck. L’homme voyage léger : une boite de conserve et une couverture qu’il finit par surnommer affectueusement « Mathilde ». Durant les longs trajets à pied, elle se balance le long de son dos et pour tromper la solitude du voyage, le vagabond propose à ceux qui croisent son chemin de venir faire valser Mathilde avec lui. Touchante de sobriété, c’est toute une armée de traînes-savates qui vont s’éprendre de la chanson ( et les en tête) et en faire un symbole international de l’errance glorieuse et désœuvrée.

L’égarement, Nick Cave s’en est fait un compagnon de route depuis bien des années. À l’image des figures mythologique du blues qu’il n’a jamais cessé d’admirer, l’australien aux cheveux corbeau a toujours flâné sans but, sautant sans logique du statut de chanteur à celui d’acteur, de scénariste, d’écrivain ou de compositeur de BO. Mais dans ces périples incessants, les Bad Seeds ont toujours été pour Nick Cave une sève vitale, un arbre protecteur sur lequel s’adosser après d’interminables voyages. C’est à l’ombre d’un magnolia géant que Push The Sky Away est né.

Quinzième album studio du groupe, cette œuvre respire la quiétude des après-midis passées à discuter dans le parfum des fleurs rose pâle qui bordent La Fabrique. Théâtre raffiné des événements, ce château du XIXe siècle perdu dans le sud de la France a abrité, inspiré, unifié les Bad Seeds durant toutes les phases de composition et d’enregistrement. La sérénité des familles réunies après de longs éloignements, voilà donc ce qu’illustrent les neuf poèmes musicaux qui ornent ce disque somptueux. Il faut dire que Dig, Lazarus, Dig !!!, le dernier album du groupe, datait de 2008 et fonçait tête baissée et chemise ouverte vers un rock débraillé annonçant déjà la deuxième salve sauvage de Grinderman (en 2010). Ici, nul emportement, l’ambiance est au lendemain de tempête, au recueillement presque ecclésiastique.

Le magnifique morceau-titre est à cette image. Un clavier y embaume l’atmosphère tandis que la voix solennelle du chanteur décompose lentement chaque mot comme pour les extirper un à un de ses entrailles bouillantes. On croit y entendre une rédemption, celle-ci se prolonge tout au long d’un disque au dénuement maîtrisé. Un modeste cliquetis en gage de rythmique sur « Wide Lovely Eyes », quelques notes discrètes de guitare sur l’introduction de «  », de brèves nappes de violons et une élégance sobre rappelant bien souvent Tindersticks. Loin de l’emphase de «  » ou des crescendos vertigineux de «  », les morceaux de Push The Sky Away ne s’embarrassent pas de bagages harmoniques trop pesants. Omniprésent, le silence habille les textes du loner australien et les transforme en talking blues dépouillés comme sur « Finishing Jubilee Street » ou le plus ample « Higgs Boson Blues ».

De ces apaisements s’échappe pourtant une tristesse latente, celle que l’on contemple avec recul pour mieux savourer l’instant. D’une voix revenue des plus terribles tord-boyaux, ces chansons fouillent la mémoire, déterrent sans crainte des histoires oubliées : « We know there’s no need to forget » chante Nick Cave dans le superbe «  ». Émoussés par le trajet et le temps, ces souvenirs font donc de Push The Sky Away le disque d’un homme qui a raccroché le baluchon, bazardé la boite de conserve et se couche enfin sous un toit, dans un mélange de sérénité, d’amertume et d’envie de reprendre la route. Nul doute que dès demain, une fois reposé et l’estomac plein, Nick Cave retournera faire valser Mathilde avec ou sans les Bad Seeds. On ne fait pas vidange d’un sang australien aussi facilement.

Scroll to Top