Mettons les choses au clair : la tribu Of Montreal vient d’Athens, petite ville du comté de Clarke au nord est de la douce Georgia de Ray Charles. Outre Of Montreal, Athens a aussi vu naître R.E.M, la gueule tordue de Bradford Cox, ou encore les mythiques B-52’s. Jusqu’ici, vous avez bref aperçu de ce à quoi pourrait ressembler Of Montreal au vu de son héritage culturel direct. Entre rock FM, esthétique pop US et blues AOC. Au vrai, la particularité du groupe vient de son génie-teur, Kevin Barnes, sorte de poète pop mégalo à la mèche aussi longue que le registre de compos. En gentil illuminé qu’il est, voilà maintenant plus de quinze ans qu’il alimente le compteur de pop songs de la formation et surtout, capable du pire comme du meilleur, Barnes officie comme seul maître à bord. Avec lui, il entraîne toute une ribambelle de musiciens tous plus ou moins aussi frappés que lui.
Être cool ? Pas vraiment la tasse de thé de Kevin et sa bande. Pourtant, c’est avec Hissing Fauna, Are You the Destroyer ? qu’ils vont le devenir en 2007. Un tournant pour Of Montreal : un peu malgré lui, le groupe se voit soudainement extrait d’une dizaine d’années d’anonymat pour se retrouver en pleine lumière. Grâce à une pop facétieuse, souvent flippante, mais ouverte sur le monde qui l’entoure, la musique d’Of Montreal se propage alors à grande échelle. Mais cette popularité nouvelle ne change en rien les plans du foutraque Barnes. Il lui arrive de flirter avec les frontières de sa propre folie, qu’il partage avec Jon Brion (à la production) notamment en 2010 pour False Priest.
À défaut de n’avoir jamais rien révolutionné, Of Montreal a souvent dérangé. En bien, avec le temps d’adaptation nécessaire pour en apprivoiser les chansons. Sauf qu’en 2012, la formation se plante royalement. Paralytic Stalks fait état d’un homme déconnecté du réel. La musique qui en réchappe n’est autre qu’une pop hybride, dont personne ne sait vraiment de quoi elle est faite si bien que même une décharge de LSD ne permettrait pas de rejoindre les sphères qu’Of Montreal semble avoir atteintes. Mais l’équipe réussit le pari de revenir la même année, avec un vrai-faux album enregistré entre 2007 et 2012. Daughter of Cloud remet le songwriting de l’américain au goût du jour. Kevin Barnes, en Raël de la pop moderne, fait de nouveau danser ses tourments et mène déjà sa clique vers un autre succès. Ce succès, il arrive aujourd’hui et il s’appelle Lousy With Sylvianbriar.
Bref, tout ça pour dire que la musique d’Of Montreal n’a jamais été frontale. Elle ne fait pas du copinage, elle demande qu’on l’apprivoise. Et ici, elle est plus accessible et dépouillée que jamais. Barnes puise à droite comme à gauche sans jamais dénaturer son travail : « Fugitive Air », premier single dévoilé, balance comme aux meilleures heures de Supergrass, et son groove innocent rappelle celui du « Have a Nice Day » des Stereophonics. Les Beatles ou Bowie (sur « Obsidian Currents ») sont de précieux repères également. À certains moments, on se dit que Lousy With Sylvianbriar aurait pu être pondu dans l’Angleterre des nineties. Où dans celle des années 70 (Ray Davies ne renierait pas « Sirens of Your Toxic Spirit »).
Mais si, en introduction, on insistait sur la provenance géographique du groupe, c’est d’une part parce que Barnes aime brouiller les pistes et qu’il s’est réfugié à San Francisco, entouré d’une poignée de musiciens, pour écrire cet album. Le fantôme d’une certaine baronnie de songwriters américains plane sur l’album. On pense à Elliot Smith, Bob Dylan et Donovan et autant dire qu’on ne s’attendait pas vraiment à ce que Barnes abatte cette carte. Et en s’amusant à jouer ensemble, tout ce petit monde livre ce qui ressemble à un vieux classique ressuscité. Sobre et spontané, comme si Of Montreal se réveillait de plusieurs années de fête. Comme peu savent encore en faire de nos jours. Le magicien Barnes n’en finira jamais d’explorer les profondeurs de sa besace sans fond.