2001, New Order fait son retour dans les bacs après huit années d’absence, avec Get Ready. De la part d’un groupe auquel on a souvent reproché les références à la seconde guerre mondiale, cela sonne comme un appel aux armes : « Préparez-vous ». Cinquante et une minutes plus tard, on a notre compte : oubliées les fautes de goût de Republic (1993), la matière est brute, l’esprit de Joy Division, vivace et la rythmique, parfois martiale, est surtout imparable. Les paroles semblent sincères, les chœurs sont vibrants. Les plus vieux d’entre nous retrouvent les jambes de leurs vingt ans, les plus jeunes prennent une claque.
Puis, au mitan de la décennie, New Order nous joue un sale tour à la Maddoff. Alors que nous avions fondé beaucoup d’espoirs sur sa nouvelle jouvence, la Ponzi Family a visiblement refilé nos mises à d’autres (merci de nous contacter si vous en êtes). Non que Waiting For The Sirens’ Call soit un album particulièrement inécoutable, mais il manque cruellement d’inspiration et ressemble à une sorte de best-of autocaricatural. Même le skank de n’est pas audacieux, New Order s’étant essayé au reggae dès 1982 en reprenant de Keith Hudson. Tout n’avait pourtant pas si mal commencé : les trois premiers morceaux (, « Hey Now What You Doing » et le morceau-titre) tutoient les classiques du groupe. Le reste n’est que pop-songs un peu poussives.
Et c’est finalement Peter Hook qui va porter le coup de grâce. En 2007, le « Capitaine Crochet » quitte le navire, révulsé par ce qu’il estime être des diktats de Barney Sumner, leader par défaut, mais leader de facto. Le bassiste tire définitivement un trait sur New Order : il monte un groupe et part en tournée jouer les deux albums de Joy Division. Puis il prend sa plus belle plume. Dans son livre L’Hacienda, la meilleure façon de couler un club (publié en août 2012 chez Le Mot et le Reste), il parachève le portrait de losers magnifiques.
Dans Unknown Pleasures: Inside Joy Division (non traduit en français), il résume le principal reproche que l’on peut adresser à Waiting For The Sirens’ Call : « À l’époque de New Order, en particulier vers la fin, nous avons martelé nos pistes à mort. Accordant un mois de budget à l’enregistrement de chaque titre ». Le dernier album de New Order sent ainsi le réchauffé, le manque de spontanéité -ciment historique du groupe- tuant son second degré : où est l’humour noir de ? La gouaille de ?
Dans ces conditions, difficile d’appréhender positivement ces Lost Sirens, compilation des morceaux qui ne figurent pas dans Waiting For The Sirens’ Call, album de rebuts en quelques sortes, et testament de Joy Division/New Order « canal historique » (Sumner, Hook, Morris). La pochette ne dit rien qui vaille. D’ailleurs elle ne dit rien du tout. Elle porte juste l’estampille Rhino, l’animal-totem des nostalgiques. Et là… Un miracle ? Peut-être pas. Mais une surprise, une agréable surprise. Premier constat : la basse de Peter Hook est (un peu) en retrait. Ses « amis » rescapés, toujours très impliqués dans le mixage, lui ont rendu ce service. La géographie des morceaux change, devient totalement inédite. Oui, ce groupe peut continuer à vivre sans la corde de Sol usée de son légendaire bassiste au premier plan. Sans Hook, New Order a encore du sens.
Second constat : ces chansons sont bâclées. On sent qu’elles ont été vite reléguées au second rang et c’est ce qui fait leur indubitable force. De n’avoir pas été triturées, martyrisées par un groupe pointilleux, triste, sans doute, à l’époque, de ne plus trouver d’alchimie. La substance pop parfaite, seule aux commandes. On est prêt à excuser le penchant piano-house de « Sugarcane » qui irritait tellement sur le single hideux « Jetstream ».
Parce qu’il est dangereusement anachronique (des inédits enregistrés en 2004, ça intéresse qui ?), Lost Sirens sera malheureusement vite oublié. Mais ses huit titres sont porteurs d’espoir. Reparti sur les routes avec Gillian Gilbert, New Order est bien vivant. Apaisé, confiant, il pourrait enregistrer un nouvel album, un vrai cette fois-ci. De la trempe de Get Ready. Savoir que Peter Hook n’est pas indispensable et que son absence pourrait permettre une écriture plus franche est rassurant. Les voilà, les deux enseignements de Lost Sirens.