Chroniques

The National Trouble Will Find Me

Les américains n’ont jamais vraiment été des adeptes de la gaudriole. D’une profonde noirceur, leur discographie enfonçait encore un peu plus le clou (dans le coeur) avec la sortie, il y a deux ans, de High Violet. Un disque sublime, d’une froideur extrême. Un album qui te nique, te détruit, pour mieux t’aider à renaître. Un truc pour les dimanches d’hiver, en somme. Et justement, un album définitif : The National, c’est ça ! Ou c’était. Matt Berninger, chanteur baryton, le répète depuis des semaines : oui, il y a de la noirceur, oui, certains textes sont difficiles, mais il y a de l’humour derrière tout cela. Vraiment ? L’album s’appelle Trouble Will Find Me, la mort rôde au détour de chaque couplet, et l’ambiance générale, c’est « j’ai des enfants, et si je claque demain, que deviennent-ils ? ». Grosse poilade quoi. Mais interdiction de se moquer. Car le beau, le personnel, quand il n’est ni lugubre, ni larmoyant, cela relève du domaine de l’intouchable.

Treize titres donc (rien que ce chiffre), et peu de raison d’espérer. « Demons », premier single prometteur, ne laisse entrevoir la lumière que le temps d’un refrain. « Don’t Swallow The Cap », lui aussi envoyé en éclaireur, creuse le sillon réverbération + batterie saccadée (caractéristique du jeu de Bryan Devendorf) + voix grave qui te nique la journée. Partout, ces mélodies qui s’immiscent sous ta peau. Ce piano qui te transperce le coeur, en quelques notes. Pas totalement « Graceless » donc, mais on est très loin de baigner dans cette « Sea Of Love » imaginée ici. Le sixième album de The National ? Il est au moins aussi beau, aussi triste, aussi introspectif, aussi abouti, aussi mature, et même, parfois, aussi grandiloquent que son prédécesseur. Et que Boxer encore avant. Tout va bien donc ? Oui. Trouble Will Find Me est une réussite. « Eight points » comme ils disent à l’Eurovision.

Sauf que quelque part, quelque chose cloche. C’est en réécoutant High Violet, et en parcourant, ici et là, des interviews et des articles datant de 2010, qu’on réalise que rien ne bouge. Toujours les mêmes rengaines, les mêmes thèmes. Et surtout, une critique que l’on pourrait apposer à ce nouveau disque, en ne changeant que les titres des chansons. Ce n’est pas forcément triste, ce n’est pas une insulte, mais il faut bien l’admettre, The National décline désormais une recette. C‘est grave docteur ? Non. Mais cela semble dire au moins une chose sur l’état de la pop, en tout cas chez nous. La répétition (certes, pas encore à outrance dans le cas présent) d’une méthode ayant fait ses preuves, cela ne choque que dans certains cas. Quand toute sa carrière tourne autour d’hymnes pour les stades (en vrac, Oasis, Coldplay, Muse… quoi que valent les chansons, remplir les stades à ras bord est une intention des plus louables) ou qu’avant même la sortie de son premier album, on se colle une image arty comme il faut (Woodkid), ça énerve, ça crispe. Parce que ça se vend ? Peut-être. Souvenons nous des quelques voix qui s’étaient élevées lors de la double affiche The National / Pavement au Zénith de Paris. Une salle trop grande, une exposition trop forte. Et le sentiment d’avoir perdu en route une poignée de chansons personnelles au profit d’une exposition massive. On repose la question: c’est grave ? Non, ainsi vont les choses. Et selon toute vraisemblance, il ne devrait pas se vendre des caisses de Trouble Will Find Me. Cela ne change rien à sa qualité. Mais devrait rassurer une poignée d’irréductibles: le business du beau n’est pas (encore) celui de The National.

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